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12 juillet 2010 1 12 /07 /juillet /2010 14:58

Ce qui est bien avec les Routes de la critique c’est qu’elle réserve toujours, au détour d’un chemin de traverse, quelques agréables surprises comme la découverte d’une perle précieuse du cinéma muet hollywoodien. Et surtout ne boudons pas notre plaisir puisque cette découverte se fait en compagnie de Lilian Gish et D.W. Griffith, à savoir deux monstres sacrés de l’histoire du cinéma…

 

 

 

 

 

 

 

A travers l’orage (Way Down East) de D.W. Griffith (1920)

 

        Lui est un des pionniers du cinéma américain (il commence à tourner en 1908) et du cinéma tout court, reprenant et perfectionnant les premiers codes de la grammaire cinématographique. Elle est une des premières grandes stars hollywoodiennes (après avoir été actrice de théâtre), celle à qui François Truffaut a dédié La Nuit américaine. A eux deux, ils ont régné sur le Hollywood naissant des années 10 et 20. Entre 1912 (An Unseen Enemy) et 1922 (Les Deux Orphelines), ce sont quatorze collaborations qui ont marqué l’histoire de D.W. Griffith et de Lilian Gish, celle du cinéma et des cinéphiles. Tous deux ont connu de grands succès ensemble ou séparément avant d’être, à l’aube des années 30, ostracisés par un système (1) et un public qui les avaient pourtant intronisés roi et reine d’Hollywood à l’époque des Rudolf Valentino, Charlie Chaplin, Cecil B. De Mille, Erich Von Stroheim, Gloria Swanson, Mary Pickford ou encore Douglas Fairbanks (2).

 

        Tous deux ont aussi préfiguré une des constantes de l’histoire du cinéma à savoir la fructueuse collaboration entre un réalisateur et son actrice ou son acteur principal(e), collaboration uniquement professionnelle dans le cas de Griffith et de Lilian Gish. Plus tard suivront Marlène Dietrich et Josef Von Sternberg, Errol Flynn et Raoul Walsh ou Michael Curtiz, James Stewart et Anthony Mann, Ingrid Bergman et Roberto Rossellini, Jean-Pierre Léaud et François Truffaut, Robert de Niro et Martin Scorsese, Isabelle Huppert et Claude Chabrol… La liste serait encore longue et probablement fastidieuse, en dépit des images de cinéma que leur évocation remue dans nos mémoires de cinéphiles !

 

         Au tout début des années 20, David Wark Griffith est connu pour ses qualités de conteur et sa filmographie, reposant le plus souvent sur des récits édifiants, puise aussi bien dans l’épopée (voir Naissance d’une nation et Intolérance) que dans le mélodrame hérité des feuilletons du XIXème siècle. A travers l’orage réalisé et sorti en 1920, appartient à cette seconde catégorie même si le film révèle un changement dans le peinture du personnage principal : en effet, jusqu’ici, D.W. Griffith s'était spécialisé dans les mélodrames victoriens et les intrigues à base d'innocence féminine menacée mais, le public commence à se lasser de la vertu sauvée et préservée. C'est donc une surprise de voir Griffith porter à l'écran un mélo de théâtre des années 1890, Way Down East. Le film raconte l’histoire d’Anna Moore, jeune fille simple et humble vivant à la campagne, qui, séduite et mise enceinte par un Don Juan aussi séduisant que machiavélique, tente d’oublier son passé, de fuir l’opprobre que lui vaut cette situation, de reconstruire sa vie après la perte de son enfant et de retrouver l’amour.

 

        Dans A travers l’orage, on ne badine ni avec l’amour ni surtout avec les principes moraux de droiture et de piété (la Bible est omniprésente comme il se doit, et les références au Livre, récurrentes). On ne rigole pas non plus sur l’honneur des femmes mises ainsi en garde contre les imprudences que peuvent leur faire commettre leur naïveté et leur innocence. A cette époque à Hollywood, entre la jeune fille virginale (figure qu’a souvent incarnée Lilian Gish chez Griffith) ou son pendant plus âgé, à savoir la femme irréprochable, discrète épouse, bonne mère de famille, et la vamp séductrice, toujours promise à un sort bien mérité c’est-à-dire la mort –combien de fois les héroïnes incarnées par Greta Garbo ont-elles été condamnées à mourir pour expier leurs turpitudes passées ?- il n’y a pas beaucoup d’entre-deux. La sainte ou la putain ! Ce schéma aura d’ailleurs la vie dure à Hollywood ! Tout comme l’opposition ville/campagne doublant l’opposition vice/vertu : c’est en ville en rendant visite à sa famille qu’Anna rencontre celui qui va la perdre et c’est en retournant à la campagne qu’elle pourra refaire sa vie. Le « happy end » de rigueur permet enfin au cinéaste de défendre les valeurs de rachat et de pardon, à la base du nouveau départ d’Anna. Son « sauvetage » de la rivière en dégel est d’ailleurs une des séquences d’anthologie du film, comme savait en concocter Griffith. Très attentif au rythme de la narration et donc à l’efficacité du récit, le réalisateur crée d’ailleurs à ce moment-là un suspens haletant, entretenu par le recours au montage alterné. Car, et c’est une des points forts du film, Griffith perfectionne certaines techniques cinématographiques de base, si on peut dire, et A travers l’orage permet de prendre la mesure d’un style qui influencera ses contemporains (Von Stroheim, Walsh, W.S. Van Dyke ont tous été assistants de Griffith) mais aussi ses successeurs.

 

        Au-delà du prêchi-prêcha réglementaire à cette époque (sauf chez Von Stroheim beaucoup plus sombre lorsqu’il s’agit d’analyser les rapports humains et de montrer les noirceur de l'âme humaine), le film dispose de solides qualités à commencer par ses atouts techniques. A travers l’orage montre l’influence qu’a pu avoir Griffith dans l’histoire du cinéma à commencer par son art du montage. Selon Joël Magny, « on a attribué à tort à l'Américain David Wark Griffith des «inventions» qu'il n'a fait que perfectionner. Dans le domaine du montage, il a généralisé et surtout systématisé les montages narratifs, parallèles ou contrastés. À partir de 1908, avec Le Télégraphiste de Lonedale ou Les Mousquetaires de Pig Alley, il perfectionne le montage «continu», constituant un espace cinématographique homogène, fluide, linéaire, aux points de vue multiples, mais sans rupture, préfiguration du montage invisible du cinéma classique hollywoodien qui se généralisera avec le parlant et connaîtra son apogée dans les années 1950. » (3) Griffith travaille aussi la richesse et la diversité des plans, la profondeur de champ et choisit aussi des cadrages inédits.

 

        C’est ce qui lui permet aussi de mettre en valeur l’autre atout du film : Lilian Gish, actrice chevronnée (elle a commencé au théâtre dans une troupe de comédiens ambulants avec sa mère et sa sœur Dorothy dès le début du XXème siècle), magnifiée par la mise en scène de Griffith, grâce aux éclairages et aux gros plans, inventés dit-on par le réalisateur (mais c’est aussi une légende !) pour son actrice dans le but de susciter l’émotion et l’empathie du spectateur : la recherche de l’identification du spectateur au héros ou à l’héroïne du film devenant une des règles d’or d’un « star-system » naissant.

 

        Alors, affronter l’orage avec Miss Gish et son réalisateur attitré, c’est aussi se replonger dans l’histoire de cette monstrueuse machine qu’est Hollywood. Et ce n’est pas le moindre des mérites de ce film !

 

  

                                                                                         Eric POPU 

 

 

 

 

Lilian Gish (1893-1993), une des premières reines d'Hollywood.

 

 

NOTES :

1. Le passage au parlant a été très difficile pour de nombreux réalisateurs et/ou acteurs de l'époque du muet. C'est le cas de Griffith qui tourne son dernier film en 1931. Cinéaste controversé depuis Naissance d'une nation (1915) qui remporte pourtant un grand succès public, la fin de carrière de Griffith est marquée par des échecs financiers et une perte d'indépendance artistique qu'il a du mal à accepter. Il reçoit un Oscar d'honneur en 1936. Lilian Gish, de son côté, tourne son premier film parlant en 1930, une comédie romantique qui ne remporte que peu de succès. Elle est alors "concurrencée" par de nouvelles actrices au succès confirmé pour certaines (Garbo) ou grandissant pour d'autres (Dietrich). L'histoire veut que Louis B. Mayer, le tout-puissant patron de la M.G.M., studio avec lequel elle est sous contrat ne soit pas complètement étranger à sa disgrâce. L'actrice renoue avec le théâtre et ne revient sur les écrans qu'après la Seconde Guerre mondiale dans Duel au soleil de King Vidor (1946). Une de ses meilleures prestations d'après-guerre reste son rôle de Rachel Cooper dans La Nuit du chasseur de Charles Laughton (1955).

 

2. Charles Chaplin, D.W. Griffith, Douglas Fairbanks et Mary Pickford fondent en 1919 la "United Artists Corporation". C'est une société de diffusion et de production indépendante des grands studios et conçue comme une coopérative qui privilégie les réalisateurs en leur octroyant un droit de contrôle artistique et commercial sur leurs productions.

 

3. Joël Magny, article « Histoire du montage », Encyclopédie Universalis en ligne.

 

 

 

David Wark Griffith (1875-1948), cinéaste pionnier et controversé, pygmalion

de Lilian Gish.

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