Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
30 septembre 2010 4 30 /09 /septembre /2010 19:14

Du 5 au 14 novembre aura la lieu la 11ème édition du festival international du film d’Arras. On ne connaît pas encore la programmation définitive et complète mais sont, d’ores et déjà, prévus quelques rendez-vous alléchants :

1) des invités d’honneur : Olivier Assayas (« son » Carlos, a fait l’actualité de Cannes 2010), Anna Karina, actrice légendaire et Jerzy Skolimowski dont le dernier film a permis à Vincent Gallo de remporter un prix d’interprétation à Venise il y a quelques semaines.

 

2) des ciné-concerts (notamment Pierre et le loup, primé aux Oscars).

 

3) des hommages et rétrospectives consacrés d’une part à la Révolution française (à ne pas rater la projection des Deux orphelines de D.W. Griffith) et d’autre part aux mondes futurs version seventies (Kubrick, Lucas et bien d’autres).

 

Programmation disponible à partir de la mi-octobre sur le site suivant :

 http://www.plan-sequence.asso.fr/festival.

 

 

 

Festival l'Autre Cinéma

 

Partager cet article
Repost0
12 septembre 2010 7 12 /09 /septembre /2010 13:18

On retiendra de lui les films du début de la Nouvelle Vague (Le Beau Serge, Les Cousins), les chefs d'oeuvre des années 70 (Les Noces rouges, Les Biches, Le Boucher, etc...) et ses fructueuses collaborations avec Stéphane Audran et Isabelle Huppert. Un cinéma qui prolongeait le travail de Fritz Lang et d'Alfred Hitchcock, et qui entrait aussi souvent en résonnance avec les films de Luis Buñuel, tous les deux champions dans la catégorie "je boxe la bourgeoisie avec délice, noirceur et ironie".

 

 

 

Depuis leur création, Les Routes de la critique se sont intéressées au cinéma de Claude Chabrol : vous pouvez, en effet, consulter le dossier réalisé sur La Cérémonie, film au programme de "Lycéens au cinéma" l'année dernière.

-  La Cérémonie de Claude Chabrol (1ère partie)

-Jeux de miroirs dans La Cérémonie (analyse du film 2ème partie)

- La Cérémonie (3ème partie)

 

 

 

Son dernier film, Bellamy (2008) avec Gérard Depardieu, a été aussi chroniqué sur ce blog. Pour la lire, cliquez sur le lien ci-dessus :

Un Chabrol, sinon rien …

 

 

 

A noter, enfin, que France 2 rediffuse ce soir L'Ivresse du pouvoir (2005), sa dernière collaboration avec Isabelle Huppert. Inutile de dire que ce film est chaudement recommandé par Les Routes de la critique. Un des sommets de la collaboration de ces deux "monstres sacrés".

 

 

 

Claude Chabrol, Isabelle Huppert et Pierre Vernier sur le tournage de L'Ivresse du pouvoir.

 

 

Partager cet article
Repost0
30 août 2010 1 30 /08 /août /2010 15:49

Quelques news ciné en cette (presque) veille de rentrée scolaire :

 

- Le cinéma français à nouveau en deuil : Alain Corneau vient de décéder. Après les disparitions de Bernard Giraudeau et de Bruno Cremer cet été, la série noire se poursuit implacablement.

 

 

 

- Le 1er septembre, s’ouvre la 67e Mostra de Venise dont le jury, cette année, est présidé par Quentin Tarantino. Arnaud Desplechin, Guillermo Arriaga et Danny Elfman assistent le président. Au programme et, en avant-première mondiale, les nouveaux films de Sofia Coppola, Darren Aronofsky, Vincent Gallo, Julian Schnabel, Tsui Hark, Takashi Miike, Tran Anh Hung, Jerzy Skolimowski. Du côté français, on suivra plus particulièrement la réception et le parcours des nouveaux Ozon (Potiche avec Deneuve) et Kechiche (Venus Noire), attendu comme un des grands moments de la rentrée ciné. 

 

- Enfin, dernière info, on vient d’apprendre qu’Isabella Rossellini (on ne la présente plus, mannequin, actrice et plus récemment réalisatrice, fille de qui vous savez, ex-compagne/égérie de qui vous savez) présidera le Jury de la prochaine Berlinale en février 2011.

 

 

 

Partager cet article
Repost0
20 août 2010 5 20 /08 /août /2010 11:31

On ne présente plus Hideo Nakata, cinéaste japonais, auteur de Ring et de Dark Water, ayant tenté aussi l’aventure hollywoodienne (remake de Ring 2 en 2005 avec Naomi Watts). Il était à Cannes cette année pour présenter Ch@troom, film (un de plus ?) qui explore la frontière très poreuse entre monde réel et monde virtuel, thème déjà à l’œuvre chez David Cronenberg et Kiyoshi Kurosawa. Comment s’en sort Hideo Nakata ?

 

 

 

 

Ch@troom d’Hideo Nakata (2010)

 

 

Ch@troom, le dernier opus d'Hideo Nakata présenté à Cannes dans la prestigieuse sélection Un Certain Regard, s'annonce comme un film dénonçant les dangers de l'addiction des jeunes aux nouvelles technologies via une scénographie intelligente et novatrice destinée à figurer de façon palpable la nature, pour l'adolescent qui les tisse, de ces relations virtuelles. Nakata crée donc une paire d'univers "parallèles", dont un, vieil immeuble dont les couches successives de peinture trop vive semblent peiner à masquer l'étrangeté, figure la toile cybernétique.

 

Le défi de rendre cinégénique une bande de "geeks" intoxiqués du net est relevé, et l'implantation d'une histoire -qu'on pressent tragique- dans ce lieu d'attraction/répulsion semble couler de source. Et pourtant... Nakata choisit (en adaptant avec Enda Walsh sa propre pièce de théâtre) de raconter l'histoire de William, un adolescent plus qu'instable qui met fin prématurément à une psychothérapie loin d'avoir eu l'effet escompté. Celui-ci, en vrai génie de l'informatique, crée dans le sordide immeuble du net une pièce, une "chatroom", dans laquelle il décide de piéger quatre jeunes paumés de sa Chelsea natale pour les pousser au suicide. L'apprentie mannequin, la petite fille modèle qui se cherche, le noir qui aime la (trop) petite soeur de son meilleur ami et le jeune blanc sous Valium parce que son père est parti complètent une galerie de personnages superficiels et stéréotypés aux particularités -qui pourraient pourtant étoffer le scénario poussif- sous-exploitées.

 

Là où les choses se corsent, c'est qu'à cause de la faiblesse de son scénario, Nakata perd ce qui fait la richesse de sa mise en scène de départ. Les allers-retours réalité/chatroom sont trop nombreux ; on se lasse de l'infatigable cliché du "virtuel = couleurs vives / quotidien = couleurs désaturées" et des innombrables plans d'adolescents s'énervant devant leur ordinateur ou leur Iphone. De plus, la plupart des scènes hors-Internet ne font qu'obscurcir une intrigue déjà brouillon en laissant en suspend des choses qui semblent capitales (le nom partagé du frère et du héros des romans maternels, l'objet concret déclencheur de la psychothérapie, l'obsession des personnages en pâte à modeler...). Les quelques scènes faisant montre d'une vraie originalité de mise en espace sont finalement beaucoup plus rares qu'on ne pourrait l'espérer, et font figure de fulgurances exceptionnelles (les séquences en stop-motion, la scène du pédophile ou celle du baisodrome en font partie).

 

Toutefois, même si le film a trop souvent des allures d'interminable clip contre les dangers du web, il sert d'acceptable écrin à l'épanouissement de Matthew Beard et la sublime Imogen Poots, parfaits dans leurs rôles (la victime névrosée -seul personnage amenant un tant soit peu d'émotion réelle à ses scènes- et l'amoureuse trahie) et belles pousses du nouveau cinéma anglais. Assurément, ces deux-là ont une belle carrière devant eux ; et si ce n'est pas le cas, alors Ch@troom n'aura vraiment pas servi à grand chose.

 

Thaïs ARIAS

 

 

Hideo Nakata, un des réalisateurs japonais les plus populaires

sur la scène internationale.

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
16 août 2010 1 16 /08 /août /2010 16:25

« Et, à l’heure où je te quitte, oui, bien haut que je te l’avoue : tu n’a pas tort, toi qui juges que mes jours ont été un rêve (…) Tout ce que nous voyons ou paraissons n’est qu’un rêve dans un rêve » Edgar Allan Poe (1).

 

 

Christopher Nolan (à gauche) et une partie de son casting : Leonardo Di Caprio, Joseph Gordon-Levitt, Michael Caine, Marion Cotillard, Cillian Murphy et Ellen Page.

 

  

 

Inception de Christopher Nolan (2010)

 

        Bien sûr, il y eut la Coupe du monde… Et Roland Garros… Mais aussi l’increvable Tour de France ou encore les championnats d’Europe hier d’athlétisme aujourd’hui de natation. Bref, de quoi sustenter tous les sportifs, vrais ou faux, en vacances ou pas, pendant ces mois d’été. Super pour eux !

Mais, le vrai sport pour le cinéphile, pour l’amateur de films enchaînés à haute dose, en intraveineuse y compris l’été, consiste à dénicher parmi une offre pléthorique LE « blockbuster US » de la saison. Quel intérêt, me direz-vous, de se coltiner une énième production made in Hollywood dont la platitude (voire l’indigence dans de nombreux cas) du scénario le dispute à une mise en scène certes efficace mais très formatée ? Quel intérêt, en effet ? Peut-être bien la curiosité irrépressible de vérifier la bonne ou la mauvaise santé du cinéma hollywoodien, de s’assurer que ce cinéma, que l’on dit moribond et bien moins inventif que les séries télé sorties des mêmes tonneaux financiers et scénaristiques, est encore capable de bluffer le plus exigeant des spectateurs tout en lui assurant de passer un bon moment. Ça n’a l’air de rien comme ça mais la quête de ce type de film peut donner lieu à des débats enflammés dignes d’un Droit de réponse d’anthologie ou à des négociations bien pires en intensité que les discussions autour du Traité de Versailles après la fin de la Grande guerre. Vous en doutez ? Et vous auriez raison…

Pour ne pas se planter et risquer ainsi de foirer sa séance tout en se brouillant définitivement avec le cinéma mainstream (genre pourquoi filer à un réalisateur tant de millions de dollars pour nous refourguer cette bouse ?), il faut d’abord choisir avec soin et discernement le réalisateur. On le veut certes aguerri aux contraintes des films de studios, mais pas non plus ignoble tâcheron du style Michael Bay ou Roland Emmerich, maîtres es pyrotechnies sûrement très divertissantes mais un peu casse-couilles sur plus de deux heures de film ! Donc, on laisse de côté John Turtletaub et son Apprenti sorcier qui s’annonce bien lourdingue pour retenir finalement James Mangold (filmo pas trop dégueu depuis Heavy et Copland), M. Night Shyamalan (mouais, moi pas trop fan) et puis Christopher Nolan, auteur de Memento et du Prestige, récent « relookeur » de la plus célèbre chauve-souris de l’histoire de la B.D. et du ciné, proposant de nous convier à une Inception bien mystérieuse. On peut rajouter que la perspective d’un scénario bien ficelé qui évite de prendre le spectateur pour un demeuré même si l’originalité n’est pas forcément au rendez-vous et que certaines conventions sont respectées (film grand public oblige) est tout aussi déterminante dans le choix du film. On notera au passage que Christopher Nolan est l’auteur du scénario de son propre film, fait trop rare à Hollywood pour ne pas être souligné.

Qui dit « blockbuster » dit aussi star(s) à l’affiche. Et cet été, il faut l’avouer, on est particulièrement gâté. Rendez-vous compte : du couple ultra glamour formé par Tom Cruise et Cameron Diaz à Angelina Jolie (hum…), de Nicholas Cage (avec une affreuse coupe de cheveux pas glamour pour deux sous) à Leonardo Di Caprio chaperonné par Marion Cotillard (re-hum…), décidément abonnée à la grosse artillerie estivale made in US (souvenez-vous de sa prestation aux côtés de Johnny Depp dans Public Enemies de Michael Mann, l’été dernier), avouez qu’il faudrait être particulièrement retors pour faire la fine bouche ! Mais dans Inception, Leonardo, tout auréolé de la gloire tirée de Shutter Island, est un peu l’arbre qui cache la forêt en ce sens que le film de Nolan repose sur un casting alléchant composé d’habitués du cinéaste (Ken Wanatabe, Cillian Murphy, Michael Caine) et quelques têtes croisées de temps à autre dans des films plus underground comme Lukas Haas (Last Days) ou Joseph Gordon-Levitt (Neil de Mysterious Skin, c’est lui).

Sur la foi d’un casting à priori réussi, mais aussi du parcours de Nolan, du pitch de départ (un homme, Dominic Cobb, et son équipe cambriolent les rêves de puissants chefs d’entreprise à des fins d’espionnage industriel lorsqu’on lui propose l’expérience inverse c’est-à-dire de pratiquer une « inception », l’implantation d’une idée dans le subconscient d’un sujet), c’est donc Inception, la dernière réalisation du cinéaste et scénariste britannique, qui emporte le morceau. Doit-on le regretter ? Non, pas particulièrement puisque le film comporte de nombreuses qualités. A commencer par un scénario suffisamment malin permettant de proposer plusieurs niveaux de lecture, le moins évident de prime abord étant que le film serait une réflexion sur le pouvoir du cinéma (plus fort que le réel ?), et de ses limites (le héros, double fictionnel du réalisateur, perd quelqu'un ou quelque chose en cours de route mais retrouvera-t-il ce qu'il a perdu ?).

La seconde qualité du film est surtout de réussir le brassage de nombreuses influences : d’abord des références à la culture populaire (clin d’œil à la série Mission : Impossible entre autres) ; mais aussi des références cinéphiliques : Nolan ne cache d’ailleurs pas l’influence qu’ont pu exercée sur son projet des films comme Matrix, Dark City d’Alex Proyas ou encore eXistenZ de David Cronenberg (2) mais aussi l’empreinte de prestigieux réalisateurs comme Fritz Lang, celui des films noirs psychanalytiques (3) ou encore le Stanley Kubrick de Shining (pour la séquence de l’hôtel). Tous ces films, jusqu’au récent Shutter Island de Scorsese, sont construits sur la perception que se font leurs héros de la réalité et du présent, difficilement dissociables du souvenir/passé, du rêve, du jeu virtuel (Cronenberg) ou bien de la folie (Scorsese). En cela, Inception est le dernier avatar de ce type de films qui se plaisant à brouiller les repères entre différents niveaux de réalité.

Par ailleurs, le film recycle également (et habilement !) un certain nombre de grands mythes de la culture grecque antique. En effet, sur une trame tissée en coulisses par Hypnos et Thanatos, fils jumeaux de la Nuit, le personnage principal est conçu comme un avatar de ces demi-dieux et héros grecs tentant de défier les lois divines du temps et de l’espace (métaphore de tous les réalisateurs de films ?), finalement punis pour leur démesure (l’« hybris » grecque) et dont l’histoire n’a cessé de bercer nos lointaines années de collège et de lycée, à l’époque latinistes ou hellénistes en herbe fascinés par les aventures des Dieux de l’Olympe et des humains qu’ils ne cessaient de tourmenter. On pense avant tout à Prométhée ou Sisyphe (le seul qui a réussi, par la ruse, à enchaîner Thanatos) désobéissant aux Dieux ; on pense aussi à Thésée, référence la plus évidente puisque la seule collaboratrice du héros, architecte du dédale de rêves destiné à piéger une dernière cible, s’appelle Ariane et c’est elle qui le conduit à se replonger dans les tréfonds de souvenirs encore douloureux. On pense encore à Ulysse pour le portrait de l'homme empêché de rentrer chez lui et qui accomplit un certain nombre d’épreuves avant de retrouver sa famille. On pense enfin à Orphée puisque le héros tentera aussi de ramener du royaume des morts sa femme perdue.

Film à plusieurs niveaux de lecture (film d’espionnage, thriller d’anticipation, séance de psychanalyse, réflexion sur la perception de la réalité et sur le pouvoir du cinéma), alternant habilement moments de bravoure technologique (effets spéciaux utilisés avec pertinence), scènes d’action efficacement montées et temps de respiration nécessaires (notamment grâce à l’histoire d’amour, un peu de mélo ne fait jamais de mal, n'est-ce pas ?), Inception, malgré le faux « happy-end » ambigu assez prévisible, se révèle être une réussite. Alors, rassuré à l’issue de la séance, le spectateur peut quand même se dire qu’Hollywood n’est pas encore complètement mort !

 

Eric POPU

 

NOTES :

1. Extrait d’un de ses poèmes : « A dream within a dream », traduit par Stéphane Mallarmé et repris dans Contes, essais, poèmes, Collection Bouquins, Robert Laffont, 1989.

2. Lire l’interview du réalisateur dans les Inrockuptibles (n°764) de juillet 2010. On notera d’ailleurs que la structure du film de Nolan (emboîtement successif des récits à la manière de poupées russes) rappelle très étrangement la structure du film de Cronenberg, cinéaste qui a l’habitude d’influencer parfois les productions mainstream d’Hollywood : souvenons-nous d’Alien, le 8ème passager de Ridley Scott (1979), qui présente d’étranges similitudes avec Shivers (Frissons en V.F.), premier long métrage du réalisateur canadien sorti en 1976.

3. On peut penser à La femme au portrait (1944) ou plus encore au Secret derrière la porte (1948), où l’on plonge, s’en rendre compte (petite différence avec le film de Nolan), dans l’inconscient du héros.

Partager cet article
Repost0
13 août 2010 5 13 /08 /août /2010 20:18

Avant la salve automnale des sorties cannoises (dont la Palme d’Or et le Grand prix du Jury en septembre), nouveau retour sur Cannes 2010 grâce à Thaïs, défricheuse de talents pour les Routes de la Critique qui, du coup, font comme l’an dernier un petit détour par la Semaine de la…critique. Ça tombe rudement bien !

 

Ariel Kleiman, jeune (il est né en 1985) réalisateur australien, déjà auteur de nombreux courts métrages depuis 2007.

 

 Ola (barbe et col roulé) et Johannes (pas de barbe ni de col roulé d'ailleurs), deux réalisateurs suédois venus présenter à Cannes leur dernière production.

 

 

 

 

Deeper than Yesterday de Ariel Kleiman (2010) + Sound of Noise de Ola Simonsson & Johannes Stjärne Nilsson (2010)

 

Fait rare, cette année, c'est la souvent excellente mais toujours plutôt discrète Semaine de la Critique (et non pas la Quinzaine ou un Certain Regard) qui a révélé les plus nombreuses et les plus originales pépites cannoises. Fidèle à son format "double feature", présentant à chaque séance un court et un long-métrage, elle part à la rencontre du nouveau cinéma mondial, aide les jeunes cinéastes, et crée le dialogue (entre personnes mais aussi entre films). Parmi les trouvailles de l'année, on notera particulièrement la séance réunissant le court Deeper than Yesterday et le long Sound of Noise.

 

A première vue, rien ne devrait rapprocher le huis-clos torturé de fin d'études d'un jeune russe plein de promesses et le premier long-métrage de fiction de deux documentaristes suédois, une comédie policière douce amère flirtant avec la comédie musicale tendance anar'. Et pourtant, le dialogue est captivant. Le premier, Deeper than Yesterday d'Ariel Kleiman, tourne autour du personnage d'Oleg, un sous-marinier russe tourmenté par la perte d'humanité de ses compagnons après trop longtemps en mer. Le second, Sound of Noise d'Ola Simonsson & Johannes Stjärne Nilsson, raconte l'histoire d'Amadeus, aîné hermétique à la musique dans une famille de concertistes, qui s'engage dans la police et se retrouve à la poursuite d'un groupe de "terroristes" utilisant la ville entière comme instrument d'une symphonie en quatre mouvements.

 

Radicalement opposés dans la forme et le discours, ils dialoguent pourtant autour d'une même thématique : celle de la marginalisation. L'homme coupé du monde est-il toujours humain ? L'homme coupé de sa famille est-il toujours normal ? L'homme coupé de son groupe humain (qu'il s'agisse de l'équipe d'un sous-marin ou d'une ville) a-t-il toujours des droits ?

  

Chez Kleiman, la perte de l'humanité est en droite ligne la conséquence de cette mise à l'écart, et la lutte pour la conservation de cette humanité est un second isolement. Le constat, pessimiste, est servi par une photo salie, dans des tons verdâtres et bleuâtres en écho à l'océan, mais aussi à la froideur et l'hostilité de ce monde où toute once de respect s'est dissipée. Toujours très nette malgré une caméra à l'épaule, au plus près des personnages, l'image adopte une crudité sordide (scène de masturbation, cadavre appelant à la luxure nécrophile...) qui rend étouffante la proximité forcée, et nous place en quelques minutes dans une situation d'empathie très forte avec le protagoniste, Oleg, incarnant un défenseur dérisoire de l'humain dans un troupeau de bêtes sauvages.

 

Pour Sound of Noise, autre format, autre discours. Le titre se veut une référence à l'immortel Sound of Music de Robert Wise (la Mélodie du Bonheur), "le meilleur film de tous les temps" d'après les deux réalisateurs. Les protagonistes, eux, viennent de leur deuxième court-métrage, présenté dans cette même Semaine de la Critique (dont ils sont des habitués) intitulé Music for one appartment and six drummers (cette forme sera reprise pour le titre de la symphonie au centre du film : Music for one city and six drummers) : il s'agit d'un groupe de six percussionnistes pour lesquels le monde n'est qu'un gigantesque instrument de musique, et qui s'offrent devant la caméra de Simonsson et Nilsson le luxe de jouer leur propre rôle.

 

Dans une mise en scène très référencée, Sound of Noise emprunte à la comédie musicale, au film noir, au film romantique et au polar 70', sans oublier la patte du court-métrage originel : des séquences musicales très saccadées, au montage sec mais harmonieux, où l'oeil aide l'oreille à isoler l'origine de chacun des bruits composants les mélodies, et rendant, par cette sensation de proximité et cette compréhension, la musique d'autant plus magique et fascinante. Le spectacle est total, et on oublie complètement la linéarité de l'intrigue grâce à son rythme effréné et son univers où cohabitent l'art, la magie et la folie douce.

 

 

Thaïs ARIAS

 

 

 

Partager cet article
Repost0
12 juillet 2010 1 12 /07 /juillet /2010 14:58

Ce qui est bien avec les Routes de la critique c’est qu’elle réserve toujours, au détour d’un chemin de traverse, quelques agréables surprises comme la découverte d’une perle précieuse du cinéma muet hollywoodien. Et surtout ne boudons pas notre plaisir puisque cette découverte se fait en compagnie de Lilian Gish et D.W. Griffith, à savoir deux monstres sacrés de l’histoire du cinéma…

 

 

 

 

 

 

 

A travers l’orage (Way Down East) de D.W. Griffith (1920)

 

        Lui est un des pionniers du cinéma américain (il commence à tourner en 1908) et du cinéma tout court, reprenant et perfectionnant les premiers codes de la grammaire cinématographique. Elle est une des premières grandes stars hollywoodiennes (après avoir été actrice de théâtre), celle à qui François Truffaut a dédié La Nuit américaine. A eux deux, ils ont régné sur le Hollywood naissant des années 10 et 20. Entre 1912 (An Unseen Enemy) et 1922 (Les Deux Orphelines), ce sont quatorze collaborations qui ont marqué l’histoire de D.W. Griffith et de Lilian Gish, celle du cinéma et des cinéphiles. Tous deux ont connu de grands succès ensemble ou séparément avant d’être, à l’aube des années 30, ostracisés par un système (1) et un public qui les avaient pourtant intronisés roi et reine d’Hollywood à l’époque des Rudolf Valentino, Charlie Chaplin, Cecil B. De Mille, Erich Von Stroheim, Gloria Swanson, Mary Pickford ou encore Douglas Fairbanks (2).

 

        Tous deux ont aussi préfiguré une des constantes de l’histoire du cinéma à savoir la fructueuse collaboration entre un réalisateur et son actrice ou son acteur principal(e), collaboration uniquement professionnelle dans le cas de Griffith et de Lilian Gish. Plus tard suivront Marlène Dietrich et Josef Von Sternberg, Errol Flynn et Raoul Walsh ou Michael Curtiz, James Stewart et Anthony Mann, Ingrid Bergman et Roberto Rossellini, Jean-Pierre Léaud et François Truffaut, Robert de Niro et Martin Scorsese, Isabelle Huppert et Claude Chabrol… La liste serait encore longue et probablement fastidieuse, en dépit des images de cinéma que leur évocation remue dans nos mémoires de cinéphiles !

 

         Au tout début des années 20, David Wark Griffith est connu pour ses qualités de conteur et sa filmographie, reposant le plus souvent sur des récits édifiants, puise aussi bien dans l’épopée (voir Naissance d’une nation et Intolérance) que dans le mélodrame hérité des feuilletons du XIXème siècle. A travers l’orage réalisé et sorti en 1920, appartient à cette seconde catégorie même si le film révèle un changement dans le peinture du personnage principal : en effet, jusqu’ici, D.W. Griffith s'était spécialisé dans les mélodrames victoriens et les intrigues à base d'innocence féminine menacée mais, le public commence à se lasser de la vertu sauvée et préservée. C'est donc une surprise de voir Griffith porter à l'écran un mélo de théâtre des années 1890, Way Down East. Le film raconte l’histoire d’Anna Moore, jeune fille simple et humble vivant à la campagne, qui, séduite et mise enceinte par un Don Juan aussi séduisant que machiavélique, tente d’oublier son passé, de fuir l’opprobre que lui vaut cette situation, de reconstruire sa vie après la perte de son enfant et de retrouver l’amour.

 

        Dans A travers l’orage, on ne badine ni avec l’amour ni surtout avec les principes moraux de droiture et de piété (la Bible est omniprésente comme il se doit, et les références au Livre, récurrentes). On ne rigole pas non plus sur l’honneur des femmes mises ainsi en garde contre les imprudences que peuvent leur faire commettre leur naïveté et leur innocence. A cette époque à Hollywood, entre la jeune fille virginale (figure qu’a souvent incarnée Lilian Gish chez Griffith) ou son pendant plus âgé, à savoir la femme irréprochable, discrète épouse, bonne mère de famille, et la vamp séductrice, toujours promise à un sort bien mérité c’est-à-dire la mort –combien de fois les héroïnes incarnées par Greta Garbo ont-elles été condamnées à mourir pour expier leurs turpitudes passées ?- il n’y a pas beaucoup d’entre-deux. La sainte ou la putain ! Ce schéma aura d’ailleurs la vie dure à Hollywood ! Tout comme l’opposition ville/campagne doublant l’opposition vice/vertu : c’est en ville en rendant visite à sa famille qu’Anna rencontre celui qui va la perdre et c’est en retournant à la campagne qu’elle pourra refaire sa vie. Le « happy end » de rigueur permet enfin au cinéaste de défendre les valeurs de rachat et de pardon, à la base du nouveau départ d’Anna. Son « sauvetage » de la rivière en dégel est d’ailleurs une des séquences d’anthologie du film, comme savait en concocter Griffith. Très attentif au rythme de la narration et donc à l’efficacité du récit, le réalisateur crée d’ailleurs à ce moment-là un suspens haletant, entretenu par le recours au montage alterné. Car, et c’est une des points forts du film, Griffith perfectionne certaines techniques cinématographiques de base, si on peut dire, et A travers l’orage permet de prendre la mesure d’un style qui influencera ses contemporains (Von Stroheim, Walsh, W.S. Van Dyke ont tous été assistants de Griffith) mais aussi ses successeurs.

 

        Au-delà du prêchi-prêcha réglementaire à cette époque (sauf chez Von Stroheim beaucoup plus sombre lorsqu’il s’agit d’analyser les rapports humains et de montrer les noirceur de l'âme humaine), le film dispose de solides qualités à commencer par ses atouts techniques. A travers l’orage montre l’influence qu’a pu avoir Griffith dans l’histoire du cinéma à commencer par son art du montage. Selon Joël Magny, « on a attribué à tort à l'Américain David Wark Griffith des «inventions» qu'il n'a fait que perfectionner. Dans le domaine du montage, il a généralisé et surtout systématisé les montages narratifs, parallèles ou contrastés. À partir de 1908, avec Le Télégraphiste de Lonedale ou Les Mousquetaires de Pig Alley, il perfectionne le montage «continu», constituant un espace cinématographique homogène, fluide, linéaire, aux points de vue multiples, mais sans rupture, préfiguration du montage invisible du cinéma classique hollywoodien qui se généralisera avec le parlant et connaîtra son apogée dans les années 1950. » (3) Griffith travaille aussi la richesse et la diversité des plans, la profondeur de champ et choisit aussi des cadrages inédits.

 

        C’est ce qui lui permet aussi de mettre en valeur l’autre atout du film : Lilian Gish, actrice chevronnée (elle a commencé au théâtre dans une troupe de comédiens ambulants avec sa mère et sa sœur Dorothy dès le début du XXème siècle), magnifiée par la mise en scène de Griffith, grâce aux éclairages et aux gros plans, inventés dit-on par le réalisateur (mais c’est aussi une légende !) pour son actrice dans le but de susciter l’émotion et l’empathie du spectateur : la recherche de l’identification du spectateur au héros ou à l’héroïne du film devenant une des règles d’or d’un « star-system » naissant.

 

        Alors, affronter l’orage avec Miss Gish et son réalisateur attitré, c’est aussi se replonger dans l’histoire de cette monstrueuse machine qu’est Hollywood. Et ce n’est pas le moindre des mérites de ce film !

 

  

                                                                                         Eric POPU 

 

 

 

 

Lilian Gish (1893-1993), une des premières reines d'Hollywood.

 

 

NOTES :

1. Le passage au parlant a été très difficile pour de nombreux réalisateurs et/ou acteurs de l'époque du muet. C'est le cas de Griffith qui tourne son dernier film en 1931. Cinéaste controversé depuis Naissance d'une nation (1915) qui remporte pourtant un grand succès public, la fin de carrière de Griffith est marquée par des échecs financiers et une perte d'indépendance artistique qu'il a du mal à accepter. Il reçoit un Oscar d'honneur en 1936. Lilian Gish, de son côté, tourne son premier film parlant en 1930, une comédie romantique qui ne remporte que peu de succès. Elle est alors "concurrencée" par de nouvelles actrices au succès confirmé pour certaines (Garbo) ou grandissant pour d'autres (Dietrich). L'histoire veut que Louis B. Mayer, le tout-puissant patron de la M.G.M., studio avec lequel elle est sous contrat ne soit pas complètement étranger à sa disgrâce. L'actrice renoue avec le théâtre et ne revient sur les écrans qu'après la Seconde Guerre mondiale dans Duel au soleil de King Vidor (1946). Une de ses meilleures prestations d'après-guerre reste son rôle de Rachel Cooper dans La Nuit du chasseur de Charles Laughton (1955).

 

2. Charles Chaplin, D.W. Griffith, Douglas Fairbanks et Mary Pickford fondent en 1919 la "United Artists Corporation". C'est une société de diffusion et de production indépendante des grands studios et conçue comme une coopérative qui privilégie les réalisateurs en leur octroyant un droit de contrôle artistique et commercial sur leurs productions.

 

3. Joël Magny, article « Histoire du montage », Encyclopédie Universalis en ligne.

 

 

 

David Wark Griffith (1875-1948), cinéaste pionnier et controversé, pygmalion

de Lilian Gish.

Partager cet article
Repost0
1 juillet 2010 4 01 /07 /juillet /2010 16:14

Du ciné en plein air, de la V.O. sous titrée, des projections gratuites, et une tasse de thé offerte pour se réchauffer si besoin est : il n’y a vraiment aucune raison de ne pas aller faire un tour du côté du Château d’Hardelot le vendredi soir. L’année dernière, on avait pu se régaler en revoyant quelques unes des meilleures productions d’Alfred Hitchcock. Cette année, le Centre culturel de l’Entente Cordiale, propose une sélection de comédies musicales, avec quelques grands classiques au programme ! Un conseil : n’oubliez pas les plaids !

 

 

Audrey Hepburn, éternellement "divine" dans My Fair Lady, une des dernières grandes comédies musicales de l'âge d'or des studios.

 

  

 

LE PROGRAMME  :  

Vendredi 9 juillet à 22h45 Swing Time (Sur les ailes de la danse) de George Stevens – 1936.

 

Vendredi 16 juillet à 22h45 The Little shop of horrors (La petite boutique des horreurs) de Franck Oz – 1986.

Vendredi 23 juillet à 22h45 Gentlemen Prefer Blondes (Les hommes préfèrent les blondes) d’Howard Hawks – 1953.

Vendredi 30 juillet à 22h30 My Fair Lady de George Cukor – 1964.

Vendredi 6 août à 22h30 On the Town (Un jour à New York) de Stanley Donen et Gene Kelly – 1949.

Vendredi 13 août à 22h15 West Side Story de Jerome Robbins et Robert Wise – 1961.

Vendredi 20 août à 22h15 An American in Paris (Un Américain à Paris) de Vincente Minnelli – 1951.

Vendredi 27 août à 22h Singin' in the Rain (Chantons sous la pluie) de Stanley Donen et Gene Kelly – 1952.

 

Pour toutes informations complémentaires, rendez-vous le site : http://www.chateau-hardelot.fr/  

   

Les hommes préfèrent les blondes ? peut-être que oui... mais les diamants resteront toujours les meilleurs amis des femmes et Marilyn la plus grande de toutes les stars (après Garbo quand même !)

Partager cet article
Repost0
28 juin 2010 1 28 /06 /juin /2010 11:54

On peut commencer par se précipiter à Gravelines (59) pour admirer (pincez-moi, je rêve !) l'oeuvre lithographique (2007-2009) d'un cinéaste mutli-fonctions que beaucoup vénèrent : David Lynch. L'expo se tient du 27 juin au 17 octobre au Musée du dessin et de l'estampe originale à Gravelines... En attendant la retrospective Lynch à la Cinémathèque de Paris prévue pour l'automne...

On aura peut-être l'occasion de vous reparler de tout cela sur ce blog !

 

 

David Lynch, a man at work...

 

 

Le plus des Routes de la critique :

Personnalisez votre accompagnement sonore lors de la visite de l'expo. Dans votre i-pod :

- toutes les BOF de Blue Velvet à INLAND EMPIRE.

- les deux albums mythiques de Julee Cruise, la chanteuse de Twin Peaks (Floating into the night et The voice of love), du sur mesure par Lynch himself et Angelo Badalamenti. Pour info, la belle a depuis sorti un album en 2002, qui est passé un peu inaperçu (The art of being a girl) puis a travaillé avec le groupe Pluramon.

- Blue Bob, l'album par David Lynch et John Neff.

 

David Lynch sur le blog des Routes de la critique : On the road again avec David Lynch (critique d'Une histoire vraie).

 

 

 

Partager cet article
Repost0
24 juin 2010 4 24 /06 /juin /2010 18:50

     Au dire des spécialistes, le thème de la famille semble avoir traversé les différentes sélections du 63ème Festival de Cannes. Les Routes de la critique ont donc choisi de revenir sur un film (Shara) et sur une réalisatrice (Naomi Kawase), souvent méconnue en dépit d’un travail marqué par l’exigence et la qualité. Le film était en compétition officielle à Cannes en 2003, l’année du « sacre » d’Elephant.

     Revoir Shara est donc l'occasion de faire le point sur le traitement de la famille dans le cinéma japonais en proposant quelques films à voir ou à revoir selon les envies…

 

 

 

 

 

Naomi Kawase, la réalisatrice de Shara.

 

 

 

Shara de Naomi Kawase (2003)

 

     « La sociologie de la famille est un sujet intéressant parce qu’elle charrie de l’imaginaire : on étudie certes des pratiques, mais également de l’imaginaire, d’où l’intérêt de l’étudier par le biais de la fiction », note François de Singly (1). Et de fait, propice aux allégories politiques tendance viscontienne (Les Damnés par exemple), à la construction (ou à la déconstruction) de mythes éternels hérités de la tragédie grecque (voir Coppola et le cycle du Parrain), aux interrogations multiples sur ce qui fait un individu (comment être soi-même avec les autres ?) et sur la confrontation de chacun face au deuil, à l’héritage, la transmission, la famille n’en finit pas d’intéresser les cinéastes, plus particulièrement en période d’incertitudes « civilisationnelles » où les repères traditionnels semblent sinon disparaître du moins se brouiller.

 

     Au Japon, la famille est un thème récurrent de la production cinématographique depuis au moins Yasujiro Ozu. Et la nouvelle génération a relevé le défi, le plus souvent avec succès, de s’emparer d’un thème riche en questionnements dans un pays qui, depuis les années 90, s’interroge sur son modèle et voit sa société se transformer profondément (2). Naomi Kawase, en même temps que Hirokazu Kore-Eda et Kiyoshi Kurosawa, fait de la famille et de la confrontation au deuil un des thèmes de Shara, son troisième long métrage de fiction (3). Mais c’est surtout un film sur la capacité de chacun d’entre nous à surmonter l’épreuve du deuil. Doit-on y voir forcément une allégorie politique liée à la résurgence, toujours prégnante au Japon, de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale ou bien une parabole sur l’état de la société japonaise ? Rien n’est moins sûr tant la réalisatrice est surtout soucieuse de s’attacher, dans ses nombreuses productions tant documentaires que fictionnelles, aux thèmes bouddhistes du cycle, de la régénération et de la renaissance. C’est le cas de Shara qui raconte le parcours croisé de deux adolescents vivant à Nara (4), Shun Aso qui apprend à faire le deuil de son frère jumeau disparu cinq ans auparavant et de Yu, jeune fille proche de lui et qui, de son côté, apprend le secret de sa naissance.

 

     Shara est d’abord caractéristique de ce qui fait le style de Naomi Kawase, cinéaste privilégiant des supports tels que le super 8 ou le 16 mn (les films sont alors ultérieurement transférés sur une pellicule 35 mn). « Le cinéma de Kawase se situe à la croisée du documentaire, de la fiction et du cinéma expérimental » (5). Et la réalisatrice de considérer la caméra comme « le filtre de ses sens, une extension de ses organes de perception ». Il suffit, pour s’en convaincre, de découvrir la séquence d’ouverture (celle de la disparition du frère) ou du défilé de rue lors de la fête de « Basara » (6). Deux moments de cinéma assez époustouflants où l’on perçoit la proposition de cinéma de Naomi Kawase : concevoir chaque séquence comme un bloc où unité de temps et d’espace est de rigueur. Le plan-séquence aussi : peu de coupes au montage (la première séquence close par un long fondu au noir dure une dizaine de minutes et n’est coupée que trois fois).

 

     Mais qu’on ne s’y trompe pas : le cinéma de Naomi Kawase n’est pas forcément un cinéma-vérité qui s’emploierait à la seule captation des gestes et des activités du quotidien. Il sait aussi laisser la place à la part de sublime et de religieux que peuvent éventuellement comporter nos vies (voir le traitement de la disparition de l’enfant qui renvoie, selon certains, au « kamikakushi » c’est-à-dire à la disparition, souvent d'enfant, qui revêt un caractère divin). De nombreuses séquences sont alors bercées par une sorte de poésie sensorielle empreinte de sérénité. A cet égard, on ne peut rester insensible à la place prise par la végétation, souvent présente dans ses autres films, de Suzaku (1997) à La forêt de Mogari (2007). Le « Shara-Sojyu » du titre original renvoie d'ailleurs à la tradition bouddhiste et plus précisément à l’épisode de la mort de Gautama Bouddha (7).

 

     A la fin du film, les deux (c’est-à-dire la place prise par la végétation et la présence du divin) se rejoignent dans un plan aérien de Nara entourée de forêts : il est à lui seul un résumé de Shara. Portées par une narration souvent elliptique, les images opèrent dans un même mouvement la coexistence apaisée des mondes, la terre et le ciel, l’humain et le divin ; mais aussi la (ré)conciliation des contraires (ou supposés tels) : la vie toute puissante et la mort vue au sens propre comme au figuré (la fin de l’enfance notamment). Envisagé ainsi, Shara est finalement un inestimable précis de sagesse humaine…

 

 

Eric POPU

 

NOTES :

1. François de Singly est un sociologue français spécialiste de la famille, professeur de sociologie à Paris V et Directeur du Centre de recherche sur les liens sociaux. A lire, entre autres publications, son étude comparée d'Un conte de Noël d'Arnaud Desplechin, L'Heure d'été d'Olivier Assayas, Les Berkman se séparent de Noah Baumbach et Little Miss Sunshine de Jonathan Daton et Valerie Faris sur le site www.zerodeconduite.net.

2. Voir l’article d’Odaira Namihei, « Malaise et révoltes de la génération perdue », publié en juillet 2009 dans le numéro 105 de Manière de voir consacré au Japon.

3. Qui est Naomi Kawase ? Née en 1969, N. Kawase réalise documentaires et films de fiction après des études de photographie à l’Ecole des Arts Visuels d’Osaka. Elle obtient la Caméra d’Or en 1997 pour Suzaku et remporte le Grand prix du Jury pour La forêt de Mogari dix ans plus tard. Résolument indépendant, son cinéma ne connaît qu’une diffusion limitée au Japon. A noter que son dernier film, Nanayo a été présenté à la Berlinale de 2009. On y retrouve Grégoire Colin, un des acteurs fétiches de Claire Denis. Shara comporte une dimension autobiographique indéniable. En effet, la réalisatrice joue le rôle de la mère des deux garçons et enceinte d’un nouvel enfant. Dans ses documentaires comme dans ses films de fiction, la réflexion autour de la maternité ou de la filiation est essentielle, Naomi Kawase ayant été abandonnée par ses parents et élevée par ses grands-parents.

4. Ancienne capitale du Japon (entre 710 et 784), Nara est une ville située dans la région du Kansai, proche de Kyoto. C’est la ville natale de la réalisatrice.

5. Voir article consacré à la réalisatrice dans Le dictionnaire du cinéma asiatique, sous la direction d’Adrien Combeaud, Nouveau Monde Editions, 2008.

6. « Basara » est une grande fête populaire associée à un festival de danse.

7. Voir article de Jean-Sébastien Leclercq publié sur le site du ciné-club de Caen.

 

 

LE « PLUS » DES ROUTES DE LA CRITIQUE.

Chaudement conseillés par les Routes de la critique, quelques films des années 2000 sur la famille et/ou la confrontation au deuil :  

* Cinéma japonais.  

The Taste of tea de Katsuhito Ishii (2004).  

Nobody Knows (2004) et Still Walking (2009) d’Hirokazu Kore-Eda.  

Tokyo Sonata de Kiyoshi Kurosawa (2009).  

* Cinéma occidental.  

L’heure d’été d’Olivier Assayas (2008). 

Les Berkman se séparent de Noah Baumbach (2005).  

Tous les films de Wes Anderson, notamment La famille Tenenbaum (2003) et A bord du Darjeeling Ltd (2009).  

Rois et reine (2005) et Un conte de Noël d’Arnaud Desplechin (2008).  

Le père de mes enfants de Mia Hansen-Løve (2009). Lire la critique de ce film : Les secrets de la Licorne 3: Le Père de mes enfants de Mia Hansen-Love .

Tetro de Francis Ford Coppola (2009). Lire la ciritique de ce film : Père(s) et fils : Tetro de F.F. Coppola.

* A venir :

L’Arbre de Julie Bertucelli (2010) : avec Charlotte Gainsbourg, ce film a fait la clôture du dernier festival de Cannes.

 

 

 

Shun et Yu dans une des séquences inoubliables de Shara.

 

Partager cet article
Repost0