Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
3 février 2013 7 03 /02 /février /2013 19:27

paul-verhoeven.jpg

  

Starship Troopers de Paul Verhoeven (1997)

En se penchant sur le cas de Starship Troopers, une question, peut-être un peu facile, vient à l’esprit : quel avenir pour un cinéaste européen qui tente l’aventure à Hollywood ? On sait que les fortunes furent diverses, et le sont toujours d’ailleurs. La gloire peut être totale ou, à l’inverse, le sort se révéler cruel. C’est quitte ou double ! Paul Verhoeven, réalisateur hollandais, toujours en activité à ce jour, a connu un peu les deux dans la Cité des Anges. L’homme qui avait déjà obtenu la reconnaissance internationale grâce à ses films hollandais, enchaîne à partir de Robocop (1987) tourné après un film de transition (La chair et le diable, coproduction internationale sortie en 1985), quelques beaux succès au box-office à une époque où, depuis longtemps, les blockbusters font la loi à Hollywood. Lorsqu’il réalise Starship Troopers, Paul Verhoeven a fait gagner beaucoup d’argent aux studios ; il a tourné avec quelques grandes stars de l’époque (Arnold Schwarznegger) et a contribué à créer des mythes (Sharon Stone) le tout sur fond de polémiques déclenchées, à chaque film, par un cocktail, très 90’s, à base de violence et de sexe.

Avec ce sixième long métrage à Hollywood, on pense que le réalisateur a réussi la quadrature du cercle : parvenir à insuffler une vision personnelle du monde, de l’humanité, de l’histoire et de la politique dans une grosse production calibrée pour plaire au plus grand nombre. Une gageure qui suppose d’accepter le carcan imposé par des producteurs, soucieux avant tout que le film rapporte beaucoup de dollars, et de se plier à la loi des genres et des codes qui vont avec. De glorieux prédécesseurs l’avaient en leur temps réussi : Alfred Hitchcock continue d’être une référence en la matière. Starship Troopers, à première vue, remplit parfaitement son contrat d’abord parce qu’il se situe à la croisée de plusieurs genres qui font généralement le bonheur des spectateurs : le film de guerre et ses scènes de combat acharné contribue à la catharsis d’une armée de mâles occidentaux en manque de castagne ; le teen-movie et ses histoires d’amour contrariées permet l’identification des plus jeunes et rappellent quelques souvenirs émouvants aux plus vieux, effet « madeleine de Proust » garanti ; le space opera et ses voyages intergalactiques dans la lignée de Star Wars suscitent une fascination que seuls les soucoupes volantes et les vaisseaux spatiaux peuvent encore exercer sur les grands enfants que sont finalement les fans de cinéma ; enfin, le film de science-fiction vaguement gore et ses grosses bêbêtes (en l’occurrence des arachnides géantes aussi effrayantes que l’alien de Ridley Scott), seules capables de vous foutre une trouille pas possible, genre vous n’en dormirez pas de la nuit.

Mais l’intelligence de Verhoeven et de son scénariste, et donc la force du film, du moins dans sa première partie, c’est d’être capable de pervertir systématiquement et insidieusement les genres précédemment cités par le second degré et la parodie. Ainsi, la première scène de bataille (comme les suivantes) vire très vite au carnage pour les humains, et le film de devenir un pamphlet anti-militariste dans la lignée de Johnny got his gun ou des films de guerre de Stanley Kubrick (Paths of Glory). Les plans sur les amputations des vétérans se multiplient et transmettent assez clairement le message sur l’absurdité de la guerre à une époque où la première intervention en Irak, présentée comme la première guerre « propre » de l’histoire de l’humanité est encore dans toutes les mémoires. Depuis, les Etats-Unis n’en ont toujours pas fini avec la guerre. Tourné à l’époque Clinton, le film renvoie aussi aux guerres de l’Amérique républicaine à l’époque où elle est gouvernée par la dynastie Bush.

Le film de Verhoeven intercale aussi, l’air de rien, une grande variété d’images enclenchant ainsi une réflexion sur leur validité. Films de propagande, films de reportage (1ère séquence du film), films amateurs, etc… Des images souvent lisses, mensongères par omission pour certaines d’entre elles, des images de la pub, des soap-operas, mises bout à bout par un montage nerveux et « clipesque », respectant au pied de la lettre les canons esthétiques du film d’action. Ce sont les images de cette grande lessiveuse qu’est la culture de masse. Verhoeven en use et abuse avec un second degré assez jubilatoire et fait mouche, pour peu qu’on prête attention aux images qui se cachent derrière les images.

Ainsi va la première partie du film et c’est très bien, mais nul n’étant prophète à Hollywood, le réalisateur se prend finalement les pieds dans le tapis dans la deuxième partie (on notera au passage la structure en diptyque similaire à celle de Full Metal Jacket) et, du coup, c’est beaucoup moins bien. Les scènes de combat s’enchaînent avec pour seul objectif d’en coller plein la vue. Se détachent alors quelques moments dignes de la première partie : le portrait d’un général pleutre et apeuré ; les expériences sur le cerveau, chef des Arachnides, permettant au réalisateur de dénoncer la torture. Hélas, Verhoeven s’est un peu perdu en cours de route, et le spectateur, conscient que les producteurs ont très souvent le dernier mot à Hollywood, peut légitimement décrocher. Cela étant, Starship Troopers est un film réussi rappelant à bien des égards Aliens de James Cameron, mais ce n’est pas un chef d’œuvre. Il faut attendre Black Book (2005), son film sur la Seconde Guerre mondiale, tourné en Hollande, pour que Paul Verhoeven livre une oeuvre à la hauteur de ses ambitions, fermant ainsi, peut-être provisoirement, sa parenthèse hollywoodienne. On ne le dira jamais assez : pour le soldat engagé contre les Arachnides de Klendathu, comme pour le cinéaste parti tenter sa chance aux Etats-Unis, il n’y a rien de tel que le confort douillet de son chez soi. Home, sweet home !

Eric Popu

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

É
A lire aussi les critiques rédigées par les élèves de seconde 13 impliqués dans le dispositif "Lycéens au cinéma" et publiées sur leur blog :<br /> itouchart.e-monsite.com/le-cinema/critiques-starship-troopers
Répondre
J
Bravo pour cette belle critique qui accompagne les "Lycéens au Cinéma". JJ.
Répondre