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30 mars 2010 2 30 /03 /mars /2010 20:29

Deuxième volet de notre analyse consacrée à La Cérémonie de Claude Chabrol. Il porte plus particulièrement sur la femme criminelle chez Chabrol. Une figure récurrente de son cinéma : on pense d’abord à Violette Nozières, célébrée en son temps par les surréalistes (1). L’histoire de cette jeune parricide avait alors donné lieu à la première collaboration du réalisateur avec Isabelle Huppert en 1978. A noter que l’évocation du parricide commis par Sophie fait écho à ce film (et ce n’est pas la seule autocitation que se permet le réalisateur comme en témoigne la diffusion des Noces Rouges à la télévision et que regardent, avec beaucoup d’intérêt, Catherine Lelièvre et son fils Gilles !). Le crime et Chabrol, c’est une longue histoire …

 

 

Sophie, au seuil de la maison des Lelièvre, et son "double" dans le miroir.

 

 

La femme criminelle chez Chabrol : un monstre humain ?

 

 

Héritier des œuvres de Fritz Lang et d’Alfred Hitchcock, Claude Chabrol propose et poursuit, dans La Cérémonie, sa propre réflexion sur l’âme humaine et la question du rapport entre l’innocence et la culpabilité. Il a très souvent utilisé la femme criminelle pour broder sur ce thème récurrent dans le cinéma classique, Isabelle Huppert étant l’actrice qui a le plus (et le mieux ?) incarné la figure de la femme criminelle. Le constat que fait Chabrol est très nuancé évitant tout forme de manichéisme. En effet, la criminelle chabrolienne est un mélange d’innocence dans la noirceur, d’immaturité dans la perversité, d’humanité dans la monstruosité. C’est d’abord grâce à la mise en scène que Chabrol parvient à évoquer l’idée de dualité des personnages (le monstrueux et l’humain réunis dans la même personne). Leur dédoublement s’exprime par un élément du décor dont la présence est permanente dans le film à savoir les miroirs (dans l’entrée de la maison des Lelièvre), les glaces (épicerie dans laquelle Sophie achète ses lunette, l’armoire chez Jeanne). Et Chabrol fait le choix de cadrer certaines scènes en fonction du reflet que le spectateur perçoit dans la glace ou le miroir. Dans la scène de la révélation de leur crime respectif, l’utilisation de la glace de l’armoire permet aussi au réalisateur de suggérer subtilement que l’une est le reflet de l’autre, semblables et aussi unies qu’elles sont par leur passé criminel.

 

Alors monstrueuses, les « bonnes » de Chabrol ? En un certain sens puisqu’elles ne manifestent aucune émotion, aucun affect, aucun signe de remord : ces absences atteignent leur paroxysme au cours de la séquence du massacre effectué de manière déterminée, froide et mécanique avec le sentiment du devoir bien accompli (rappelons-nous des premières paroles prononcées après le massacre : « ca va … on a bien fait »). Voir aussi la manière dont Jeanne s’approprie le poste de Mélinda, trophée somme toute assez dérisoire. Dans la narration qui est faite des crimes qu’elles ont commis par le passé, ce qui frappe c’est aussi la façon de se déresponsabiliser, de se déculpabiliser, qui est aussi un réflexe indispensable pour continuer à vivre (cf. l’incroyable « on a rien pu prouver »). Jeanne, quant à elle, a choisi de s’abriter derrière ce qui est à la fois cliché et discours normé : « une mère ne peut pas vouloir tuer son enfant »). Leurs attitudes, leurs paroles (voir la confession de Jeanne dans la voiture le soir du drame) témoignent d’une distanciation par rapport à l’acte criminel et aussi, peut-être, d’une banalisation de ce geste.

 

Mais dans le même temps, leur humanité ne fait aucun doute. En effet, leur amitié qui se fortifie au cours du film en est une preuve : elle se manifeste par des gestes tendres notamment leur enlacement (lorsque Jeanne vient voir le film avec Paul Newman). Chez Sophie, le sentiment de panique et de détresse qui l’envahit face aux situations qui la mettent en difficulté, suscite chez le spectateur de l’empathie. Chez Jeanne, le désir de « faire le bien » comme elle ferait autre chose d’ailleurs, cherchant ainsi à se conformer à une certaine norme sociale, nous la rend finalement attachante. Enfin, le film met en avant leur côté enfantin : la coiffure (les tresses), certains vêtements portés par Sophie, la scène des chatouillis sur le lit de Jeanne, leur attitude lorsqu’elles se font gronder par le curé, Sophie qui regarde un épisode des « Minikeums », etc… sont autant d’éléments qui permettent de brosser le portrait de femmes-enfants.

 

Il faut enfin noter que Chabrol, dans La Cérémonie comme dans d’autres de ses films (2), fait sien un des grands principes d’Alfred Hitchcock à savoir que le ou la criminel(le) doit aussi être séduisant(e) ou (faussement) angélique pour en faire un personnage réussi. Souvenons-nous donc des deux héros de La Corde ou bien de Joseph Cotten dans L’ombre d’un soupçon (3) ! Quand Catherine Lelièvre est interrogée par sa famille sur l’apparence physique de Sophie, elle a pour seule réponse qu’elle n’est pas « monstrueuse »… CQFD ! Et que dire de son nom de famille : Sophie Bonhomme !!! On retrouve là une ironie toute chabrolienne, qui marque les films les plus réussis du réalisateur.

 

Les Routes de la critique

 

NOTES :

1. Poèmes, dessins, correspondances, documents autour de Violette Nozières, réédités par les Editions Terrain Vague en 1991. On y retrouve la fine fleur du mouvement surréaliste : Man Ray, Breton, Eluard, Char, Péret, Ernst, Dali… A noter qu’ils avaient déjà pris fait et cause pour d’autres criminelles, en particulier les Sœurs Papin, au cœur d’un fait divers sanglant qui marque encore plus La Cérémonie et qui a inspiré d’autres productions, au théâtre (Les Bonnes, pièce de Jean Genet) et au cinéma (Les Abysses de Nico Papatakis en 1963 puis Les blessures assassines de Jean-Pierre Denis en 2000).

2. Quelques exemples dans les dernières productions de Chabrol : Mika (Isabelle Huppert) dans Merci pour le chocolat, Tante Line (Suzanne Flon) et surtout Michèle (Mélanie Doutey) dans La Fleur du mal.

3. Dans ses entretiens avec Truffaut, le maître rappelle même que c’est une condition sine qua non d’un suspens réussi. Une leçon que retiendra François Truffaut dans La Sirène du Mississippi où le rôle de la garce qui fait tourner Belmondo en bourrique, sera confié à Catherine Deneuve, aussi hitchcockienne que glamour.

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