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31 mars 2010 3 31 /03 /mars /2010 19:53

La Cérémonie, acte III ! Dernières précisions concernant un film saisissant à voir, passionnant à décortiquer…

 

 

Claude Chabrol, grand ordonnateur d'une impitoyable cérémonie.

 

 

La Cérémonie : pourquoi ce titre ?

 

Si on s’interroge sur le titre du film c’est qu’il a été délibérément choisi par Chabrol et sa scénariste, Caroline Eliacheff, alors que le roman de Ruth Rendell, dont est inspiré le film, s’appelle A judgement in stone (sorti en France sous le titre de L’analphabète).

C'est dans le dico :  le terme cérémonie renvoie à la fois à une forme extérieure, régulière et solennelle d’un culte religieux, une fête solennelle à caractère sacré mais aussi, de façon plus laïque, à un moment solennel accordé à un événement, à un acte important de la vie sociale. Le titre du film, énigmatique au premier abord, peut être alors interprété comme une mise à mort, une exécution. Celle de la famille bourgeoise. On peut l’envisager à deux niveaux :

F au niveau social. En effet, comme de nombreux personnages chabroliens, Sophie vit enfermée et ne dispose pas de tous les moyens lui permettant d’être libre, ici l’éducation et plus précisément la maîtrise de l’écrit. Du coup, Sophie (c’est elle qui prend l’initiative de premier coup de feu tuant Georges Lelièvre alors que, jusque là, elle suivait Jeanne) s'achemine vers la cérémonie finale car elle ne peut trouver sa place dans le monde. Ce geste violent et fatal exprimerait moins la volonté de gagner une meilleure place dans le monde que le désir, plus souterrain, de supprimer la place de l'autre pour en avoir une à soi. Cette poussée de violence n’aboutit d’ailleurs pas au renversement de l’ordre social établi. Claude Chabrol envisage donc le massacre de la famille Lelièvre « comme une exécution capitale c’est-à-dire, la punition d’une faute dans une société déterminée ». La faute commise étant, par un réflexe de classe, d’assigner à l’autre une place déterminée. Circonstances aggravantes : le mépris des Lelièvre, peut-être inconscient, souvent camouflé sous une couche de bonne conscience (Mélinda) ou sous le vernis d’une gentillesse plus ou moins feinte.

F au niveau psychanalytique. La « cérémonie » est aussi une libération de la pulsion de meurtre, inscrite dans le passé des deux héroïnes du film (l’une a été suspectée d’infanticide ; l’autre de parricide).

 

On peut noter que le thème de la chasse est très présent dans le film et pas seulement à cause de l’arme utilisée pour exécuter les Lelièvre (les fusils du père). Il faut aussi s’arrêter sur le jeu de mot typiquement chabrolien concernant les noms de famille (les Lelièvre meurent après avoir été abattus comme des lapins). On note aussi dans la cuisine au moins deux natures mortes représentant du gibier tué. Un de ces tableaux représente un lièvre mort suspendu à un clou. Dans de nombreuses scènes se situant dans le « domaine » de Sophie, ce tableau est présent dans le champ de la caméra. Il annonce, sans que le spectateur s’en rende forcément compte, l’issue de l’histoire (1).

 

Cette mise à mort, théâtralisée ne serait-ce parce qu’elle suit le découpage des actes de l’opéra de Mozart, est précédée d’une longue phase préparatoire où la violence va crescendo :

F la répétition des gestes de mise à mort (Jeanne fait semblant de tirer avec une pompe à vélo puis avec un des fusils qui n’est pas encore chargé).

F la souillure (le chocolat versé sur le lit, le crachat).

F la mort par objets interposés : dans la chambre des Lelièvre, les portraits sont jetés à terre, les vêtements sont déchirés (2).

Elle a aussi une fin : après le départ de Jeanne, Sophie range les fusils et efface précautionneusement les traces compromettantes. L’ironie du sort veut que Jeanne soit, à son tour, exécutée –certes accidentellement mais n’est-ce que l’effet du hasard ? - par le curé, un garant parmi d’autres de l’ordre social et grand habitué d’autres cérémonies, plus catholiques celles-là !

 

Les Routes de la critique

 

 

NOTES :

1. Ce thème renvoie très clairement à une des références du film : La règle du jeu de Jean Renoir.

2. On notera que, contrairement aux « bonnes » de la pièce de Genet, Sophie et Jeanne ne revêtent pas les tenues de Catherine Lelièvre.

 

 

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commentaires

É
<br /> C'est clair mais d'autres pistes peuvent être explorées ; quelques unes approfondies...<br /> <br /> <br />
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P
<br /> sacré dossier ! mais le film le mérite amplement ! :)<br /> <br /> <br />
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