Les Routes de la critique c’est aussi la parole donnée aux élèves qui découvrent des films à travers des projets ou des séances scolaires. La semaine dernière, les élèves de 1ère L2 du lycée Mariette ont découvert Le Petit Lieutenant de Xavier Beauvois, deuxième film au programme de Lycéens au cinéma pour l’année scolaire 2010-2011. Un film qui ne les a pas laissés indifférents. Impressions et commentaires d’abord couchés sur le papier puis publiés sur ce blog.
Le capitaine de police et son "petit lieutenant" sur une scène de crime, grand classique du film policier, séquence revue et corrigée par Xavier Beauvois.
Le petit lieutenant de Xavier Beauvois (2005)
Le petit lieutenant est le quatrième film réalisé par le français Xavier Beauvois. Si avec Nord (1989), N’oublie pas que tu vas mourir (1995), prix du Jury à Cannes et Selon Matthieu (2001), il obtient d’excellentes critiques, le réalisateur, par ailleurs acteur, peine à rencontrer son public. C’est donc avec Le petit lieutenant qu’il parvient à allier succès critique et public puis avec Des hommes et des dieux (2010) qui a renforcé l’enthousiasme du public français envers le réalisateur.
Pour son quatrième film, Xavier Beauvois raconte l’histoire d’Antoine Derouère (Jalil Lespert) qui, à la sortie de l’école de police, choisit de quitter sa Normandie natale pour intégrer la police judiciaire à Paris. Il est tout de suite bien intégré à l’équipe grâce à sa discrétion et son enthousiasme. Il est particulièrement bien apprécié par sa supérieure Caroline Vaudieu (Nathalie Baye), ancienne alcoolique qui retrouve en Antoine son fils décédé à l’âge de sept ans. Cependant, Antoine est poignardé lors d’une enquête et meurt peu de temps après.
Tout d’abord, ce qui marque le plus dans ce film, c’est son côté réaliste. En effet, Beauvois, filme le quotidien d’un commissariat de Paris de la manière la plus simple possible, parfois même proche du documentaire. Chez lui, pas d’esthétisation outrancière, de bande-son tonitruante, de musiques additionnelles, pas de filtres… D’ailleurs, le réalisateur choisit volontairement des acteurs non professionnels (sauf pour les personnages principaux) afin de renforcer l’impression de prise directe avec le réel, l’école réaliste se méfiant parfois des tics de jeu des acteurs professionnels. Cette simplicité saute aux yeux dans plusieurs scènes, celles (nombreuses) filmées dans les bars (grand classique d’une certaine tradition du cinéma français), un plan rappelant même, pour l’une d’elle, L’absinthe d’Edgar Degas ; celle de la première garde de nuit ou encore celle de l’autopsie, bien loin des plans ultra-esthétisés des séries américaines.
Ce film est aussi une profonde réflexion sur la famille : les deux personnages principaux, n’ayant sur Paris aucune attache familiale, sont plongés tous deux dans une grande solitude. Par contraste, Beauvois multiplie les séquences où apparaît une famille, biologique ou non. Celle d’Antoine d’abord qui apparaît au moment de son départ pour Paris, de son hospitalisation puis de son enterrement. Il y a aussi la famille de Solo, collègue d’Antoine (Roschdy Zem) avec laquelle ce dernier apparaît heureux et apaisé contrairement à Antoine et Caroline. Il y a enfin la logeuse d'Antoine, autre figure maternelle pour le jeune homme. Le film multiplie ainsi les familles de substitution, le commissariat surtout mais aussi les Alcooliques Anonymes que fréquente Caroline.
Une autre famille est montrée : celle d’un enfant baptisé dans une église orthodoxe, celle que forme les fidèles encadré par le prêtre qui officie. C’est une scène-clé du film d'abord parce qu'elle montre la détresse de Caroline Vaudieu, isolée par la caméra, qui entend les pleurs du bébé lui rappelant sûrement un autre enfant, et qu'elle annonce, par la symbolique du baptême, la mort imminente d’Antoine, deuxième « fils » perdu. Une détresse intense et bouleversante qui se traduit d’ailleurs par l’effondrement, au sens propre comme au figuré, d’une femme qui revit des moments douloureux. A la manière de François Truffaut, Beauvois signale que les émotions les plus extrêmes se traduisent par le corps et non par les mots.
Beauvois montre d’ailleurs une certaine admiration pour Truffaut (mais aussi d’autres cinéastes) : tout d’abord le fait qu’il choisisse, pour un des premiers rôles, Nathalie Baye avec qui il avait déjà tourné, n’est pas anodin puisque cette dernière a un long passé de cinéma avec le cinéaste de la Nouvelle Vague (trois rôles dont La chambre verte en 1978). De plus, le dernier plan-séquence du film, ponctué par un regard caméra où Baye montre l’étendue de son talent, n’est pas sans rappeler la fin des 400 coups de Truffaut. Beauvois montre donc une autre « famille », celle du cinéma, des références cinéphiliques puisqu’une multitude d’affiches parsèment le film (Il faut sauver le soldat Ryan, Un flic, Seven, Reservoir Dogs, Il était une fois en Amérique, Taxi Driver, Les 400 coups et une photo du Clan des Siciliens). Certaines de ces références établissent un dialogue ironique entre la figure iconique et héroïsé du flic et la vie quotidienne d’un commissariat parisien qui n’a pas grand-chose à voir avec ce qui nous est montré dans certains de ces films.
Xavier Beauvois signe donc avec Le petit lieutenant un film particulièrement intéressant qui montre une image inhabituelle des films policiers, plus proche d’un L.627 de Bertrand Tavernier ou du Police de Maurice Pialat que de Seven de David Fincher. De plus, le scénario se révèle captivant et surprenant (mort du « héros » au milieu du film) sans tomber toutefois dans l’excès.
La classe de 1ère L2
Secrétariat : Paul Championnet
Rédaction : Thomas Lacroix
Caroline Vaudieu et Antoine, son second fils ?