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1 août 2011 1 01 /08 /août /2011 14:00

C'était un des films au programme de Lycéens au cinéma pour l'année scolaire 2010-2011. C'est le dernier film en date d'Arnaud Desplechin qui avait été présenté au festival de Cannes en compétition officielle en 2008. Il avait valu à l'une de ses actrices, Catherine Deneuve, un prix spécial d'interprétation. Retour donc à Roubaix pour Un conte de Noël, envisagé à travers l'étude de trois séquences.

      

Catherine Deneuve est Junon Vuillard, mère de famille énigmatique et vampirique. Sa maladie provoque une réunion de famille que plus personne n'osait espérer depuis le "bannissement" d'Henri par sa soeur Elisabeth. 

 

 

SEQUENCE 1 / Le théâtre d’ombres (le palais de Thésée).

(1’20 mn à 2’28 mn)

 

Les Vuillard sont une famille de Roubaix. Elle est composée du père Abel, de la mère Junon, et des enfants Joseph (décédé), d’Elisabeth, d’Henri et d’Ivan. La séquence explique les raisons de la mort du premier né, foudroyé très jeune par une leucémie incurable. Cette mort prématurée constitue un premier trauma dans l’histoire familiale puisqu’aucun membre de la famille, en particulier la sœur et le frère de Joseph, n’était compatible pour soigner l’enfant. La séquence du théâtre d’ombres est la deuxième du film après la scène du cimetière (Abel, le père, évoque le deuil de son premier fils, Joseph). Les deux séquences se complètent puisqu’elle permet de comprendre le pourquoi du comment de la mort de Joseph.

 

Arnaud Desplechin a recours à la voix-off (celle de la fille aînée devenue adulte) pour raconter ces événements terribles. Cela donne d’emblée une tonalité littéraire au film (tout comme le découpage du film en chapitres), le réalisateur s’inspirant de l’idée de « livre cinématographique » chère à François Truffaut. Idée que les histoires familiales charrient de l’imaginaire et de la fiction ? Idée que la frontière entre fiction et réalité est poreuse, que l’une se nourrit de l’autre et vice-versa ? On notera l’importance de la narration dans le film sachant que plusieurs narrateurs se succèderont au cours du film, donnant ainsi l’impression que le film dans son ensemble est un flash-back. Par ailleurs, les références à la littérature sont nombreuses dans le film : Abel lit Nietzsche à sa fille (1); Junon reçoit en cadeau un livre de Ralph Waldo Emerson ; Henri lorsqu’il écrit à sa sœur évoque « une parodie de nouvelle de Kafka », auteur connu pour ses relations difficiles avec sa famille (voir La Métamorphose) et notamment son père (Lettre au père) et précise la chose suivante : « c’est donc comme si toutes ces tentatives d’assassinat mental et social avaient pour heureuse fonction de me transformer en personnage et de transmuer ma vie en roman ».

 

Dans cette séquence, le réalisateur prend le parti de ne pas reconstituer les événements. Il utilise le petit théâtre d’ombres que possède Elisabeth dans son appartement appelé le palais de Thésée (le spectateur l’aperçoit à nouveau, de façon fugitive, à la fin du film). Mais au début du film, le spectateur ne sait pas comment ce jouet s’appelle. Il devra rétrospectivement, en le reconnaissant, s’interroger sur le sens donné à ce théâtre miniature qui peut renvoyer  au Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, célèbre pour la pièce dans la pièce et incite le spectateur à s’interroger sur l’histoire de Thésée (1). Ce qu’on peut dire c’est qu’il renvoie au monde de l’enfance, au monde du conte (2) donc au merveilleux et au rêve. Il suggère aussi un dialogue subtil entre réalité et fiction. Car les ombres projetées sur les photographies ne sont pas la réalité. Le recours au théâtre d’ombres est une manière alors d’affronter des d’événements douloureux de l’enfance des petits Vuillard de manière plus atténuée. On notera que les silhouettes-marionnettes ne sont pas identifiées ni identifiables (le particulier devient universel) et elles suggèrent aussi que les personnages sont manipulés : deus ex-machina en coulisses = ressort du tragique.

 

Il fait aussi référence au cinéma d’ombres, apparu en Allemagne dans les années 20, c’est un genre d’animation qui utilise la technique des ombres chinoises. Il s’agit du même principe que l’on utilise dans la réalisation des dessins animés mais avec des silhouettes d’ombres et du papier découpé. Il y a donc peut-être chez Desplechin, la volonté de revenir aux premiers temps du cinéma et des images animées en même temps que de revenir aux origines d’une famille. On peut aussi évoquer les liens étroits entre théâtre et cinéma chez le réalisateur (voir Esther Kahn) et chez les maîtres qui l’ont influencé (en l’occurrence Ingmar Bergman ou encore Truffaut dans Le dernier métro). On peut noter aussi les références à Shakespeare et plus précisément au Songe d’une nuit d’été  : Paul regarde son adaptation au cinéma par William Detierle et Elisabeth, dans la séquence finale du film, cite un vers de cette pièce où il est d’ailleurs question d’ombres. Enfin, on peut rappeler que les professions d’Henri et d’Elisabeth sont liés au théâtre (elle écrit des pièces, il était le propriétaire d’un théâtre).

 

Arnaud Desplechin et son scénariste, Emmanuel Bourdieu, dès les premières séquences, donnent l’impression au spectateur de plonger au cœur d’un récit mythologique. Ce sont les prénoms des membres de la famille Vuillard font référence à des récits mythologiques qui renvoient aussi bien à la tradition biblique (Abel, Joseph et Simon le cousin), à la culture gréco-latine (Junon). Les prénoms des autres enfants renvoient surtout à des prénoms venant de différentes familles royales européennes (Elisabeth, Henri et Ivan). De ces trois-là, qui est la reine ou le roi de la famille Vuillard ? On notera que ces prénoms évoquent mais ne correspondent pas précisément aux mythes ou histoires légendaires auxquelles le spectateur peut penser. En gros, ça ne colle jamais !  Pourquoi ? On peut penser que le réalisateur renforce ainsi le caractère universel de cette histoire particulière. Il suggère peut-être aussi que chaque famille fabrique sa propre mythologie et qu’il n’existe pas de codes de lecture préalable pour comprendre ce qui est en train de se passer. Ce que semble confirmer Henri lorsque, face caméra, il livre au spectateur le contenu de la lettre qu’il a envoyée à Elisabeth après cinq ans de bannissement : « nous sommes ici en plein mythe et je ne sais pas de quel mythe il s’agit ».

 

 

NOTES :   

(1) Notamment ce passage : "Nous, chercheurs de la connaissances, nous sommes pour nous-mêmes des inconnus". Cette phrase résumerait à elle seule un des propos du film : pour un individu, se poser la question du comment être soi avec les autres. Dans Conte de Noël, à de nombreuses reprises, il est question de la connaissance de soi pour de nombreux personnages (Elisabeth, son fils Paul Dedalus). La question du rapport de l'individu par rapport aux autres et par rapport au monde est un des thèmes récurrents du cinéma du réalisateur français. 

(2) Henri ne serait-il pas un nouveau Thésée ?

(3) Le conte est un récit symbolique et souvent cruel, situé hors du temps, dont la portée est universelle ; il comporte une leçon, un message le plus souvent moral, le conte est donc didactique mais aussi cathartique.

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