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29 mars 2010 1 29 /03 /mars /2010 20:26

Et l’on reparle de Chabrol sur ce blog… Et plus précisément de La Cérémonie, film de 1995 avec Isabelle Huppert et Sandrine Bonnaire, deux actrices époustouflantes récompensées à Venise  pour leur performance dans ce qu'on peut considérer comme un des meilleurs films du réalisateur. Profitant de la projection et de l’étude du film dans le cadre de « Lycéens au cinéma », les Routes de la critique proposent quelques pistes d’analyse qui sont le fruit de passionnantes discussions et/ou séances de travail avec quelques professeur(e)s (Mesdames Fauvel, Soret et Sourget en l’occurrence) impliqué(e)s dans le dispositif et chevilles ouvrières de la « coopérative » cinéma au Lycée Mariette.
 


 

Jeanne (Isabelle Huppert) et Sophie (Sandrine Bonnaire), les deux "bonnes" de Claude Chabrol. 



Jeux de pouvoir dans La Cérémonie.

 

Le film de Claude Chabrol démonte de manière assez magistrale  la mécanique du pouvoir existant entre les groupes sociaux mais aussi entre les personnages selon un axe classique dominant/dominé (1). L’enjeu de cette mécanique est la maison des Lelièvre et l’appropriation de l’espace par le tandem Jeanne/Sophie.

Les rapports de pouvoir se déclinent à plusieurs niveaux :

1. Entre les groupes sociaux : le film met en scène la confrontation entre deux mondes que tout oppose. Cette confrontation se cristallise autour de plusieurs éléments :

- la richesse :  l’aisance matérielle des uns s’oppose à la situation plus modeste des deux jeunes femmes (à noter cependant qu’elles ne sont pas socialement déclassées et ont, toutes les deux, un travail).

Exemple : la maison des Lelièvre, vaste et richement décorée s’oppose à l’appartement de Jeanne qui n’a qu’une seule pièce.

- les références culturelles sont un autre marqueur.

Exemple : la galerie d’art que tient Catherine Lelièvre, la bibliothèque et les livres, la passion pour l’opéra et l’œuvre de Mozart de Monsieur Lelièvre s’opposent à la culture plus populaire et plus télévisuelle de Sophie (voir les scènes où elle regarde les « soaps » ou La Chance aux chansons). La culture est au cœur du film puisque Sophie est analphabète (et non illettrée). Elle ne dispose pas de codes nécessaires pour fonctionner en société ; elle est même enfermée dans une vie aliénante puisqu’elle ne dispose pas d’un des moyens permettant de se libérer de son milieu à savoir la maîtrise de l'écrit.

- le langage employé par les différents groupes sociaux n’est pas le même non plus. Plus familier pour Jeanne et Sophie (cf. la chanson de Jeanne « il fourre, il fourre, le curé… ». Plus soutenu chez les parents Lelièvre : voir la 1ère scène de repas (avant l’arrivée de Sophie) où le père emploie une locution latine. Il est aussi révélateur de la manière dont on considère, parfois avec une certaine dose de bonne concience dans le cas de Mélinda,  une personne qui n’est pas issue du même milieu social (voir la scène où les Lelièvre discutent du nom à donner à Sophie : bonne, boniche, bonne à tout faire, employée de maison, gouvernante).

- la situation familiale : les Lelièvre semblent former une famille unie (bien que recomposée) alors que les filles sont sans attache familiale. Bien plus, la famille bourgeoise fait corps à la fin du film face au chantage de Sophie lorsque le secret de la grossesse de Mélinda est révélé. Que peut faire une bonne face au pouvoir de cette union ? Rien puisqu’elle renvoyée séance tenante par le chef de famille.

 

2. Entre les personnages d'un même groupe social. On peut envisager la relation Sophie/Jeanne sous un autre angle que celui de l’amitié ou celui, plus social, de la connivence de classe (ce qui supposerait d’ailleurs qu’elles aient une conscience politique plus ou moins affirmée). On s’aperçoit, en effet, très vite que Jeanne, plus extravertie, plus frondeuse aussi, exerce un certain ascendant sur Sophie, plus introvertie et silencieuse, à tel point que celle-ci copie sa coiffure (tresses). C’est aussi elle qui incite Sophie à ne pas se laisser faire (voir la scène où Jeanne finit par lâcher « on va pas se laisser bouffer la laine sur le dos ») et qui la pousse finalement à désobéir à ses patrons.

 ceremonie1.jpg image by sevenarts

 

3. Entre le réalisateur (envisagé ici comme narrateur omniscient) et ses personnages. Certains plans sont filmés en plongée, plus ou moins accentuée, afin de suggérer qu'une force supérieure manipule les personnages, que la fatalité se joue de ces marionnettes humaines (2). Ce qui renforce d'ailleurs le sentiment du tragique qui parcourt l’ensemble du film.

 

La mise en scène, très formalisée, est tout entière au service des relations de pouvoir liant les personnages entre eux. La lecture peut se faire à deux niveaux : celui de la circulation des personnages dans les différentes pièces de la maison des Lelièvre et celui de la position des personnages les uns par rapports aux autres.

1. La place et la circulation des personnages dans l’espace (3).

1er constat : la disposition des pièces de la maison des Lelièvre renvoie à la représentation « classique » de la maison ou de l’immeuble bourgeois au XIXè siècle (la chambre de bonne sous les combles). Voir Pot-Bouille d’Emile Zola où les différents étages révèlent la place des individus dans la société du Second Empire (pour faire simple, les bourgeois en bas, les pauvres en haut). A noter qu’il existe une entrée et un escalier de service empruntés souvent par Sophie, l’entrée et l’escalier principal étant réservé aux Lelièvre. La place de l'escalier, réminiscence hitchcockienne, est essentielle dans le dispositif de mise en scène, comme il le sera dans d'autres films de Chabrol (Merci pour le chocolat ou encore La Feur du Mal par exemple).
 
2ème constat : les pièces de la maison détermine le statut de ses occupants. Dès le début du film, Madame Lelièvre assigne une place précise à Sophie : lors de la première visite de la maison, la maîtresse de maison qui attend sa nouvelle bonne dans la cuisine l’accueille par un « voilà votre domaine », très anodin mais aussi très révélateur (4). On notera d'ailleurs que le carrelage noir et blanc de l'entrée mais surtout de la cuisine suggère un vaste échiquier où, avec l'arrivée de Sophie, commence une partie aux conséquences dramatiques. Il est tout aussi  intéressant de constater qu’à de nombreuses reprises Sophie restera figée au seuil de la bibliothèque : elle n’y entrera vraiment qu’au moment du massacre, les filles ayant pris alors possession de la maison des Lelièvre. De la même façon, les Lelièvre ne vont que rarement au 2ème étage, chez Sophie, sauf quand le patron décide de renvoyer la bonne. Cela dit, la deuxième scène du film, prémonitoire en quelque sorte, « montre que l'ordre social imposé (…) est fragile. Madame Lelièvre attend Sophie à la gare de Saint Malo, mais sur le quai, personne en vue. Se préparant à quitter le quai, elle aperçoit Sophie, déjà arrivée, sur un autre quai pas du tout là où elle devait apparaître. Cette scène en apparence banale suscite un profond sentiment d'inquiétude qui repose entièrement sur la valeur donnée à la construction spatiale : en changeant de place Sophie organise la rencontre, rompt avec la situation de soumission à laquelle madame Lelièvre l'avait tacitement assujettie et inverse le rapport de forces » (5). On peut enfin noter que le seul personnage qui circule dans toutes les pièces de la maison est Jeanne, en l’absence mais aussi en présence des propriétaires.

 

2. Position des personnages les uns par rapports aux autres.

Utilisant l’espace de manière métaphorique, Claude Chabrol accorde aussi un soin tout particulier à la position des personnages les uns par rapport aux autres. Ainsi, dans de nombreuses scènes (la panne, la visite de Monsieur Lelièvre à la poste par exemple), les dominants sont le plus souvent debout et les dominés assis. A partir de la scène du chantage mettant en présence, dans la cuisine, Mélinda et Sophie, les positions s’inversent : quand elle prend le pouvoir sur Mélinda, Sophie est debout, son interlocutrice, pendant un court instant, assise. Ce renversement se confirme à la fin du film lorsque les filles observent, du 1er étage, la famille Lelièvre réunie devant l’écran pour regarder Don Giovanni. Un plan en plongée subjective confirme la prise de pouvoir par « les bonnes ».

 

Les Routes de la critique

 

 

Notes :

1. Première influence du film de Chabrol : La Règle du jeu de Jean Renoir (1939).
2. C'est peut-être aussi une façon de suggérer le pouvoir définitif que le réalisateur exerce sur ses acteurs. Certains des films de Claude Chabrol peuvent être d'ailleurs vus comme des métaphores de la relation metteur en scène/acteurs-actrices. C’est le cas dans deux autres films avec Isabelle Huppert : Rien ne va plus (1997) et L’ivresse du pouvoir (2006).

3. Ce travail scénographique, très formalisé, sera ensuite repris dans Merci pour le chocolat (2000).

4. Cette séquence n’est pas sans rappeler l’arrivée de Célestine (Jeanne Moreau) chez les Monteil dans Le journal d’une femme de chambre de Luis Buñuel (1963), grand frère de Chabrol dans sa peinture (souvent à la soude caustique) de la bourgeoisie provinciale.

5. Voir la critique du film sur le site suivant : http://cineclubdecaen.com.

 

Lire aussi :

la critique de Bellamy, dernier long métrage en date de Claude Chabrol : Un Chabrol, sinon rien …

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25 mars 2010 4 25 /03 /mars /2010 18:55

Le printemps est de retour, y compris au cinéma… On peut donc de nouveau flâner dans les rues pour se rendre dans sa salle préférée et y découvrir quelques nouveautés et/ou, à la maison, revoir quelques classiques en DVD. Voici donc une nouvelle sélection, plus ressérrée que d’habitude, mais dont la qualité n'est, à priori, plus à prouver... A vous de juger néanmoins !

 

1. Printemps tardif de Yasujiro Ozu (1949)

2. Conte de printemps d’Eric Rohmer (1989)

3. Milou en mai de Louis Malle (1990)

4. Aprile de Nanni Moretti (1998)

5. Capitaine d’avril de Maria de Medeiros (2001)

Bonus découverte : Printemps dans une petite ville de Tian Zhuangzhuang (2002)

 

 

Eric POPU


Pour mémoire… Revoir les sélections précédentes :

-      l’été :  Dix films pour l'été

-      l’automne : Dix films d'automne

-      l’hiver : Dix films pour l'hiver (et aussi Noël !)

 

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19 mars 2010 5 19 /03 /mars /2010 14:26

 

Du 24 au 28 mars 2010, pour sa 17ème édition, se tient au Touquet, le Festival international du grand reportage d'actualité et du documentaire de société. Un jury présidé par le réalisateur français Yves Boisset devra départager les 21 films de la compétition internationale sans compter les 42 films des sections parallèles. L'occasion pour le spectateur d'ausculter l'état de notre planète...
Un hommage particulier est rendu à Christian Poveda à travers une exposition photos et la projection de son dernier documentaire La vida loca.
Pour connaître tous les rendez-vous, la programmation et les différentes séances, on peut sur rendre sur
www.figra.fr.



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18 mars 2010 4 18 /03 /mars /2010 19:53

Les critiques se nourrissent, s’enrichissent en se confrontant… Voici donc une dernière contribution concernant Paranoïd Park de Gus Van Sant. Il s’agit de celle de Pierric Maelstaf, le « boss » du Boulevard Sainte Beuve, qui nous fait part de sa propre analyse du film.

 

 
Gus Van Sant et deux de ses acteurs sur le tournage de Paranoïd Park.


En contemplant le park.

 

        Sur sa rampe, le skateur creuse à peu près toujours le même sillon : celui d’un temps non maîtrisé qu’il laisse échapper. Temps de l’apprentissage – le skateur s’entraîne –, temps aussi de la reconnaissance puisqu’autour de lui, le sportif attire les regards de ses pairs – et tantôt il leur parlera, partagera d’autres moments, d’autres gestes avec eux. N’importe quel observateur peut s’en convaincre, à condition de lui consacrer du temps. A moins de regarder Paranoïd Park, de Gus Van Sant. Le temps sera raccourci et borné par le film, mais sera très profitable.

        Tout au long du film, les planches imposent un rythme régulier, oscillant, liquide : celui d’un balancier qui indique qu’il faut prendre garde au temps lui-même. Paranoid Park met en scène les codes de la jeunesse dans les apparences d’un teen movie contemplateur, où les adultes sont assez peu écoutés, eux-mêmes assez peu compris. Il faut aller jusqu’au meurtre accidentel d’un homme, dans l’ambiguïté d’une scène tragi-comique, entre le ridicule du gore et l’irrémédiable impossible à assumer, pour que de l’adolescence affleurent des questions plus essentielles. Mais rien n’aboutira finalement : les codes de l’adolescence n’impliquent absolument pas le moment du passage à l’âge adulte. Gus Van Sant ne dit pas qui a raison – et tant mieux.

        Le réalisateur va beaucoup plus loin, cependant. Parce que Paranoïd Park n’est pas un milieu clos, une ambassade où les jeunes ont leurs propres règles. Il s’agit essentiellement d’un film – et peut-être celui, assez mental, qu’on conserve à part soi ou qu’on note, comme le jeune héros, dans son journal. L’inscription vaut pour l’oubli. Le crime, la petite amie, le père absent : tout se vaut, tout devient flou et inaudible. Il ne reste que le skate, son mouvement autistique et la contemplation des mouvements.

        Ce monde est assez neutre, très doux, enveloppé par une musique électro intimiste qui rassemble des sensations et ne cherche pas les manifestations ostentatoires. Cette jeunesse là n’est pas performatrice. Elle ne montre rien et s’écoule. Il faut bien que jeunesse se passe. Le film achoppe ailleurs – dans ce temps muet, ce temps d’oubli, comme si la jeunesse devait d’abord s’oublier pour trouver ses appuis, comme on se lance les yeux fermés sur une planche à roulette pour trouver l’équilibre. Elle s’habitue à tenir debout sur ses roulettes pour suivre sa propre vitesse – mais les appuis sont inconséquents quand ils sont fixés sur l’ancien monde, sur les habitus sociaux.

        Il reste cependant une voie : celle de la caméra, celle du journal intime, celle de l’écriture. Attention pourtant : l’écriture n’est pas celle, classique, d’une narration puisant entre le bildungsroman et le polar. Elle est celle, plus poétique, plus esthétique, centrée sur soi. Le héros ne fait rien lorsqu’il écrit. Au mieux ordonnance-t-il ses souvenirs sans pour autant construire mais pour oublier toute causalité entre son geste – le meurtre – et ses conséquences – sa responsabilité. Il écrit pour oublier les évidences, comme sa jeune amie le lui a conseillé. De fait, il n’œuvre que dans la stérilité d’une production qui ne doit aboutir à aucun résultat. Avec ses airs de super 8 et de souvenirs familiaux, l’essentiel se paie le luxe de l’aveuglement par le soleil, de gros plans au ras du sol, de travelling à la taille, d’une séquence de lumière sous l’eau et la vapeur en quête d’un arc en ciel sous une douche.

        Par-delà, l’agitation du monde, l’emploi du temps du lycéen, l’interdit du park, Gus Van Sant invite à ressentir les choses, à oublier que l’adolescent est un adolescent et à privilégier la sensation ; qu’elle soit fuite ou affrontement n’a aucune importance. Il est inutile d’avoir des mots durs ou de montrer la plus grande tolérance. Aucun échange ne semble pouvoir s’opérer. Le langage n’est pas commun. A moins de se laisser emporter par le balancement du skate dans une esthétique particulière, premier pas vers une curiosité différente, une sensibilité pour le moins esthétique voire artistique, dès lors qu’on ne cherche pas à articuler un discours conscient. En cela le film de Gus Van Sant sort de ce qui se présente, faussement, comme absurde, mais en tout cas vain et inutile. Il suit le fleuve d’Héraclite, avec l’éblouissement de chaque instant qui renouvelle le précédent et devance le suivant, sans hiérarchisation possible. Il faut vraiment que jeunesse se passe.

 

Pierric Maelstaf

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17 mars 2010 3 17 /03 /mars /2010 16:19

On en entend qui, perfides, ricanent dans le fond de la salle. Si, si… Imaginez : un créateur de mode, et pas n’importe lequel (il a "relooké" Gucci, il a succédé à Yves Saint Laurent, le genre de parcours plutôt prestigieux quoi !), l’américain Tom Ford se pique de faire du cinéma. C’est un peu comme si, je sais pas moi, Arnold Schwarnegger, gouverneur de Californie, se mettait à faire l’acteur… Ah, c’est déjà fait, me dit-on ! Au temps pour moi ! Plus sérieusement, va-t-on voir A single man ou reste-t-on à la maison à regarder le DVD qui traîne près de la télé (en l’occurrence La grande évasion de Raoul Walsh) ? Posée comme ça, la question risque de vite trouver une réponse… Néanmoins, Thaïs nous en dit plus…


 

 

Un casting prestigieux : Julianne Moore et Colin Firth, les deux acteurs principaux du premier long métrage de Tom Ford.



A single man de Tom Ford (2010)

 

A la radio, on évoque la crise des fusées de Cuba. Assis dans sa voiture, il y a un homme qui, ne supportant pas la vie depuis le décès de son amant, a décidé de mettre fin à ses jours. La petite et la grande Histoire ne se croiseront jamais plus, à part anecdotiquement au détour d'une conversation. Pourtant, l'amant portait son beau costume de marin qui a finit la guerre, quand seize ans plus tôt, il rencontrait l'homme assis dans sa voiture. Mais les drames de la seconde moitié du XXe siècle n'intéressent pas le styliste / cinéaste Tom Ford, il leur préfère le drame à échelle humaine, celui d'un homme qui redécouvre la vie quand il a décidé d'y renoncer.

 

L'histoire de la passion contrariée et de la rédemption a le mérite d'être universelle. Le choix de mettre en scène un couple homosexuel troublera probablement quelques conservateurs à la morale archaïsante, mais c'est le sentiment amoureux qui préoccupe Ford, et son absolu se moque des préférences sexuelles. Mais on regrettera que, même pétri de bonnes intentions, il ne fasse pas l'impasse sur les personnages secondaires trop stéréotypés : l'amie d'enfance amoureuse transie (Julianne Moore, émouvante malgré une sous-exploitation qui passe pour de la platitude), la voisine un peu niaise, middle-class et pas très à l'aise avec l'homosexualité de son voisin ou encore l'étudiant fasciné par son prof, pas trop sûr de ses orientations sexuelles.

 

Mais si l'histoire n'a rien de vraiment original, c'est que Ford mise sur la forme pour (se ?) prouver qu'il peut filmer. S'il devait s'embourber dans les méandres d'une narration à tiroirs, il n'aurait pas pu se permettre d'aussi francs partis pris visuels. Toutefois, à l'arrivée, ceux-ci s'avèrent parfois déroutants, voire discutables. La photo est superbe : à un quotidien traité dans des couleurs cadavériques reflétant l'état psychologique du personnage se substituent des souvenirs, parfois dans un noir et blanc photographique, parfois dans des tons chauds de chair sensuelle. Problème : c'est joli mais c'est décoratif. Il n'y a pas d'unité dans les flashes-back et pas toujours de logique dans l'évolution des couleurs par rapport au mental du personnage (or c'est bien cette volonté-là qu'on sent, bien que pas toujours maîtrisée).

 

Etranges également ces alternances plans ultra-nets à focale longue / séquences en steady cam injustifiées narrativement (le jardin des voisins) ou plan d'ensemble / très gros plan interminable (la scène de la secrétaire du lycée). Celles-ci donnent au film une esthétique clipesque qui s'éloigne du propos : les procédés ne sont pas assez poussés pour donner à l'ensemble une dimension onirique, mais le sont trop pour garder l'illusion du réel. Ponctuent également le film des séquences Nouvelle-Vaguesques, où les personnages tiennent des conversations totalement abstraites et où le réalisateur se délecte d'un champ/contre-champ en très gros plan sur leur visage (la séquence du bar entre George et Kenny). Assez joli, mais creux ; il faudrait au moins Godard pour défendre le parti pris.

 

Ainsi, l'ensemble est beau à regarder, mais froid : l'empathie peine à prendre. Toutefois, force est de convenir que cet écrin chirurgical convient très bien à l'épanouissement de Colin Firth, brillant dans son rôle d'endeuillé. Il habite ce cadre glacial d'une grâce sublime, d'une trempe apte à faire oublier tous les (Marc) Darcy un peu trop mièvres. C'est avec élégance et subtilité que ce géant sous-exploité va rappeler son existence au cinéma, à n'en point douter. Quant à Tom Ford, il aurait pu faire une pire publicité aux artistes pluridisciplinaires. Il aurait aussi pu en faire une meilleure en ne traitant pas son film comme un défilé de mode obsédé par la forme, et en négligeant moins la force de l'histoire et des sentiments du roman de Christopher Isherwood.

 

Thaïs

 

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15 mars 2010 1 15 /03 /mars /2010 11:43

Un autre regard sur Paranoïd Park. C’est celui de Madame Sourget qui nous livre ici son analyse du film de Gus Van Sant. Un texte extrait des Causeries du Boulevard, miscellanées sous la direction de Pierric Maelstaf et publiées aux Editions du Sagittaire. (http://sagittaire-editions.com)

 

 
Gus Van Sant et Christopher Doyle, son chef op' sur Paranoïd Park.


 Sport de glisse par Suzanne Sourget.


         Alex est un joli adolescent qui traîne sa dégaine, ou plutôt, qui la fait glisser sur l'asphalte de sa banlieue de Portland, les oreilles fichées entre ses écouteurs de MP3. Un jeune sans histoire, qui ne se « sent pas prêt » pour affronter « Paranoïd Park », haut lieu du skate, mythe pour les gentils garçons, et lieu réel de rencontre, d'affrontement et de deal pour ceux qui le sont moins. Il s'y laisse entraîner un peu malgré lui, et sa vie bascule. Presque par hasard, parce qu'il rêvait de se « choper un train », Alex devient le meurtrier d'un agent de sécurité de la gare de triage.

 

Le film de Gus Van Sant a été cent fois présenté, par un raccourci bien pratique, comme un Crime et Châtiment nouvelle génération, et forcément « arty », puisque c'est ce que l'on attend du réalisateur de Portland, connu pour son très bel et troublant Elephant (qui rafla, entre autres prix, celui de l'Education nationale, en 2003, sans parler de la Palme d'or cannoise). Formule trop pratique, et donc fausse. Puisqu'il est question ici de critique, glissons une remarque en parenthèses : quand il s'agit de Gus Van Sant (qui se réclame lui même d'un certain bagage culturel européen, et qui fréquente depuis toujours les milieux artistiques underground), c'est un réflexe que de lui coller des références européennes. Il est vrai aussi que Dostoïevski, comme Gus Van Sant, a traversé depuis belle lurette l'océan et n'est plus l'apanage d'un continent. N'empêche : dans aucune interview du cinéaste nous n'avons trouvé trace du grand roman russe (à peine plus, d'ailleurs, du roman de Blake Nelson qui a inspiré le scénario).

 

Le film ne s'appesantit pas sur le sujet de la culpabilité. Encore moins sur la responsabilité. Comme souvent chez GVS, nous n'avons finalement que très peu accès à l'intériorité du personnage : lui-même s'ignore. Serait-ce le propre de l'adolescence ? On se gardera de généraliser. Là encore, méfions-nous de l'étiquette et des majuscules : si Gus Van Sant filme l'adolescence, il se refuse à poser sur elle un regard théorique. Et si le film nous captive, ce n'est pas pour les affres d'un teenager, sur lequel tout, ou presque, semble glisser. Ce n'est pas non plus pour l'enquête : elle est bouclée très vite pour le spectateur, et classée aussi rapidement par la police (dont le représentant nous apparaît comme une sorte de psychanalyste, qui est un des déclencheurs de la confrontation, violente mais brève, avec le traumatisme).

 

Le charme et la puissance du film tiennent à cette alchimie : la photographie de Christopher Doyle (In the Mood for Love), la virtuosité des plans ondoyants sur les skates, les séquences en super 8 accompagnées de textes poétiques susurrés par une voix féminine, la palette hivernale et pâle (les verts, les gris d'une Côte d'Opale du littoral américain), la bande originale, entre plages électro-acoustiques, musique de Bach, thème de Juliette des Esprits de Fellini, et folk final d'Eliott Smith, contribuent à nous plonger dans une atmosphère cotonneuse et hypnotique, qui pourrait nous agacer et relever du tic de réalisateur, si elle n'avait du sens. Elle incarne en effet à merveille l'univers solipsiste d'Alex. Il a des amis, il tente d'en singer les codes (le skate, la drague, la fête et les conversations dans le jacuzzy de parents middle class), mais sans grande conviction : il est un peu à côté, à la fois pur lui même et absent à lui-même. La déambulation nonchalante d'Alex dans les couloirs du lycée, sur fond de musique alerte - « I can help » de Billy Swann - et la séquence de l'escalier roulant, accompagnée d'une composition légère de Nino Rota en sont deux exemples : Alex se laisse porter, regard indéchiffrable, qui dérive entre les rangées de casiers, ou les miroirs d'un centre commercial.

 

L'homicide aurait pu être pour Alex l'occasion de se réveiller de sa torpeur. Dans un film moral, se seraient succédées les étapes attendues : le meurtre ; la tentative d'oubli ; la prise de conscience ; le rachat. Entre temps, l'enfant serait devenu grand.

 

Mais les habits d'adulte demeurent trop larges, comme le montre la scène amusante de la cabine d'essayage... L'angelot voulait « se choper un train », on peut dire qu'il se l'est bien pris (ralentis et musique de Bach précèdent de peu un plan spectaculaire, voire grand-guignol, sur le blessé, rampant entre vie et mort). Mais Alex est descendu du train en marche. Toujours pas prêt. La douche, qui est l'occasion d'une référence à Hitchcock et d'une auto citation*, mais aussi et surtout un grand moment esthétique (on se souvient du son strident des oiseaux recouvrant progressivement le bruit de l'eau), ne sera certainement pas celle de la rédemption, et ne sera pas suivie de l'aveu. Le fils appelle son père, sans doute pour parler. Celui ci ne répond pas. Sans qu'on puisse en tirer de conclusions simplistes, il faut bien constater ce fait : les adultes sont - une fois de plus chez GVS – presque absents à l'écran ; leurs silhouettes apparaissent tronquées, évanescentes, elles-mêmes adolescentes.

 

C'est alors que Gus Van Sant, à la fois pour ouvrir et dénouer le film, joue d'un cliché éculé, et bien dans les codes adolescents version sixties : c'est l'écriture qui va permettre à Alex, non pas de s'amender, mais de formuler ce qui s'est passé. D'où cette narration en voix off, qui est aussi celle du roman éponyme de Blake Nelson. L'idée a été soufflée à ce benêt d'Alex par sa vieille copine Macy : une boutonneuse qui, peut-être par pose, peut-être sincèrement, n'est pas tournée que vers elle-même. La jeune fille se targue de politique, de réflexion sur la faim dans le monde... Alex, donc, écrit pour lui-même son histoire : ce faisant, il reconstitue le puzzle, et met dans des cases les bribes de souvenirs. Le film de Gus Van Sant, par ses retours en arrière, sa chronologie désarticulée et répétitive, ses jeux de focale, est en ce sens un film sur les détours et la fabrication de la mémoire.

 

Ce que fera Alex du souvenir du meurtre, le film ne nous le dit pas. Les pages du journal consumées dans le feu, la musique d'Elliott Smith et les ultimes images de skate en super huit, apaisées par un morceau country de Cast King (musicien redécouvert vers 2005), constituent une fausse issue qui nous ravit sans rien éclairer. Ce pourrait être une définition de la poésie.

 

 

 

* GVS a tourné en 1998 Psycho, un remake expérimental (et pas indispensable), plan par plan, du célèbre Psychose d' Alfred Hitchcock.

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13 mars 2010 6 13 /03 /mars /2010 11:26







Du 18 au 21 mars 2010, l'association Rencontres Audivisuelles dont nous vous avions déjà parlé sur ce blog (voir article de Jessy Une manifestation originale au service des courts-métrages ), organise à Lille la Fête de l'Animation pour une sixième édition riche en rendez-vous. Au programme : japanimation, une théma Royaume-Uni avec un zoom sur les studios Aardman (Wallace et Gromit, ce sont eux) , jeu vidéo, arts numériques, une expo "nouvelles histoires animées" et deux soirées électro-animées (dont une soirée Warp avec les cultissimes Autechre), le tout dans quelques lieux hautement recommandables comme Le Tri Postal, le Palais des Beaux-Arts ou encore la gare Saint Sauveur. L'invité d'honneur de cette 6ème édition est Mike Reiss, scénariste des Simpson.
Pour tout savoir et repérer les bons plans, rendez-vous sur le site
www.fete-anim.com.








Les excellents Autechre, ambassadeurs d'une electronica déviante et vrillée, en mix au Tri Postal à Lille...
Un peu de musique pour arpenter Les Routes de la Critique...











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12 mars 2010 5 12 /03 /mars /2010 15:59

Un BSB commence et c’est le moment de se pencher rétrospectivement sur la troisième édition pendant laquelle le Club ciné avait travaillé sur un film de Gus Van Sant. On connaît la suite de l’aventure… A l’heure où sortent Les Causeries du Boulevard, le livre proposant un bilan d’une édition riche en découvertes, Les Routes de la Critique suivent le mouvement et proposent de reparler de Paranoïd Park.

 


Gabe Nevins (Alex), le héros de Paranoïd Park, prix du 60ème anniversaire au Festival de Cannes.



Paranoïd Park
de Gus Van Sant (2007)

 

 

C’est avec Paranoïd Park que Gus Van Sant clôt sa tétralogie sur l’adolescence (appelons-la comme ça pour aller vite !) commencée, hors du système hollywoodien, en 2002 avec Gerry. Le réalisateur habitué à travailler par phases depuis le début de sa carrière semble en avoir entamé une nouvelle avec Milk sorti en 2009, qui signe son retour au cinéma de studios (1). Paranoïd Park est à la fois semblable aux autres films de la tétralogie dans son esthétique et les thèmes abordés et différent dans la mesure où le réalisateur, parti de faits divers pour les trois premiers volets, a choisi pour Paranoïd Park d’adapter un roman de Blake Nelson.

        Appréhender Paranoïd Park, c’est d’abord replacer le film dans l’histoire d’un genre, assez américain en somme, celui du film d’ado (et non pas du film pour ado, ce qui est différent) aussi bien à Hollywood que dans les productions indépendantes. La démarche de Gus Van Sant est à la croisée de ces deux mondes comme l’avait montré en son temps My Own Private Idaho (2). On est donc en terrain connu, balisé par de nombreuses productions, celles de Gus Van Sant d’abord mais aussi de ses prédécesseurs ou contemporains, de Nicholas Ray à Sofia Coppola ou Larry Clark (3). Dans Paranoïd Park, on retrouve pas mal d’éléments propres au teen-movie : les lieux que fréquentent le héros, des personnages stéréotypés (la cheerleader, jolie mais gentillette comme Jennifer, la pote au physique disgracieux comme Macy, les virées entre copains, etc …). Rien de très nouveau depuis La Fureur de vivre

Mais la peinture de l’adolescence nord-américaine que propose Gus Van Sant est un peu différente de la description des ados réalisée par Nicholas Ray ou Elia Kazan. A l’ado rebelle, en rupture avec le monde adulte pour mieux se construire (type James Dean) se substitue un individu caractérisé par « une absence de réaction, un détachement inquiétant, une indifférence glaçante dont le cinéma de Gus Van Sant incarne le dernier état » (4). Et de fait, les filles Lisbon de Virgin Suicides, les héros de Larry Clark ou de Gregg Araki, Alex dans Paranoïd Park sont à la fois les parangons d’une adolescence qui ne communique rien ou peu, aucun contenu, aucun sentiment, aucun affect, et les symptômes d’un monde en déréliction. Dans le film de GVS, le choix des focales contribue à créer cette impression de déconnexion du réel, de mise à distance de la réalité par le personnage principal. En effet, les focales longues plongent les arrière-plans dans le flou et révèle un rapport au monde un peu atrophié, si l’on peut dire.

Une des caractéristiques de ces ados c’est qu’ils sont en perpétuel mouvement, et on ne connaît pas toujours la destination de ces « arpenteurs désoeuvrés ». Du coup, le skate occupe une place importante dans le film de Gus Van Sant, motif qu’il a emprunté à Larry Clark (Kids, Ken Park et Wassup Rockers) auquel le réalisateur de Portland est lié. Plus qu’un simple code de l’adolescent d’aujourd’hui, il est surtout le symbole de sa condition (celui d’un être en déséquilibre) mais aussi l’instrument de la découverte du monde, de la transgression, de la marginalité puisque c’est ce que symbolise ce skatepark appelé Paranoïd Park. A l’image des skateurs/punk-rockeurs de Larry Clark quittant en skate le ghetto pour découvrir Beverly Hills, Alex part à la découverte d’un autre monde, celui de Paranoïd Park, lieu de rencontre de ces marginaux que le cinéaste, admirateur de la Beat Generation, aime tant à montrer dans ces films. Et le spectateur de suivre les déambulations de son héros, en skate, à pieds ou en voiture, grâce à l’emploi des travellings et de la steady cam (5), procédé emprunté à Kubrick (Shining en particulier, ce film étant lui-même une variation probable de L’année dernière à Marienbad d’Alain Resnais) (6). Il est moins systématiquement utilisé que dans Elephant. Mais, comme dans Elephant, il contribue à créer cette impression de divagation hypnotique, si caractéristique de la tétralogie.

        Pour autant, l’adolescent vansantien ne fait-il pas l’apprentissage -son apprentissage- du monde ? C’est ce que tendrait à prouver le parcours d’Alex. La métaphore du pont qui ouvre le film et qui sera ensuite reprise plus tard (il doit traverser un pont pour aller au skatepark et en revenir) n’indique-t-elle pas que s’opère dans la conscience du jeune héros le passage d’un état à un autre, le film mettant en avant cet entre-deux sans que nous soient montrées les conséquences morales ou même juridiques de l’acte commis, Gus Van Sant se refusant à nous asséner toute leçon sur l’aventure vécue par son héros ? Cet entre-deux, plus ou moins conscientisé par le héros, semblerait lui révéler l’efficacité ou les limites de son pouvoir sur le monde qui l’entoure, peut-être même à son corps défendant. Ainsi, Alex, comme les autres héros de la tétralogie, fait l’expérience de la mort, les quatre films se construisant sur le rapport à la mort, celle que l’on se donne (Last Days) ou bien celle que l’on inflige à l’autre (Gerry) ou aux autres (Elephant). Qu’a-t-il retiré de cette expérience ? On n’en saura pas plus, le film s’achevant sur la destruction de sa confession par le feu, autre motif récurrent dans le cinéma de Gus Van Sant (My Own Private Idaho, Gerry, Last Days) et qui est le plus souvent associé à un moment de vérité pour le ou les personnages. A l’image de certains personnages felliniens à partir de Juliette des Esprits, Alex fait « une expérience esthétique » de sa relation au monde, « libérée de l’éthique et du religieux ». (7)

L’expérience vécue par Alex n’est en rien morale donc, elle est esthétique et physique, serait-on tenté de rajouter. En effet, le film, construit autour d’un dialogue permanent entre pesanteur et apesanteur, est tout entier centré sur le corps du héros. Les scènes, d’une virtuosité technique assez bluffante (8), où Alex rêve de skate symbolisent un désir de légèreté, une recherche d’apesanteur qui s’opposent à tout ce qu’il vit et qui peut être perçu comme aliénant (la relation amoureuse avec Jennifer, le divorce de ses parents, l’homicide involontaire qu’il commet). Dans sa « vraie » vie, le corps d’Alex est rivé au sol et subit les lois de la gravitation comme tout un chacun : à cet égard, deux scènes révèlent cette condition : la scène de la douche (grosse référence à Hitchcock, cinéaste de la culpabilité) où Alex s’effondre progressivement et très lentement sous le poids de l’eau dans la cacophonie d'une volière (clin d'oeil aux Oiseaux d'Hitchcock? ); la scène où il est allongé sur le bitume, son skate sous lui, coupant son corps en deux comme le fut celui de l’agent de sécurité sur la voie ferrée la nuit du drame. Tout l’enjeu esthétique du film est contenu entre deux impulsions, entre « l’envol et l’effondrement » (9). Quelques plans plus loin, Macy le récupère et Alex, monté sur son skate, se laisse traîner par la jeune fille qui circule en vélo. A nouveau, Alex est en mouvement mais pas vraiment par ses propres moyens. Il n’est pas non plus anodin de constater que le seul cours qui nous est donné de voir est un cours de physique où le professeur explique à ses élèves la poussée d’Archimède.

Appréhender Paranoïd Park, c’est aussi se poser la question de la perception du temps chez Gus Van Sant. Héritier des expérimentations de Resnais et de Kubrick, le temps chez GVS n’est pas linéaire. Bousculant le passé et le présent, multipliant flashes-back et flashes-forward dans la reconstitution des événements dramatiques qui ont eu lieu à la gare de triage, le réalisateur construit un mille-feuille temporel superposant les différentes strates de conscience d’Alex, les « différents niveaux » que lui-même évoque dans une de ses conversations avec Macy. Car Paranoïd Park, dans sa structure narrative accidentée, est aussi conçu comme un travail subjectif de reconstitution du souvenir, après un temps de refoulement, lié à l’écriture d’un journal-confession. C’est ainsi qu’il faut lire l’affiche du film, l’image d’Alex découpée en bandes puis reconstituée imparfaitement. Est-ce dans ce réassemblage maladroit, dans cette juxtaposition approximative, qu’il faut chercher ce qu’a perdu Alex, ou bien ce qu’il a gagné à Paranoïd Park ?

 

Eric POPU

 

 

NOTES :

(1) Voir le livre consacré à Gus Van Sant par Stéphane Bouquet et Jean-Marc Lalanne publié aux Editions des Cahiers du cinéma en 2009.

(2) Une analyse possible que l’on peut faire du film part du postulat que Gus Van Sant se projette dans ces deux héros, l’un choisissant de quitter la marginalité et de rejoindre son milieu d’origine (Keanu Reeves) et l’autre décide de rester le « clochard céleste » qu’il était au début du film (River Phoenix), le réalisateur hésitant entre rester dans la marginalité du cinéma indépendant ou alors tenter l’aventure hollywoodienne. Un cap qu’il franchira avec To die for (Prête à tout) en 1994 mais aussi les films suivants Will Hunting et A la recherche de Forrester, tous des films de studios.

(3) Sur le film d’ado dans le cinéma américain, voir la synthèse très instructive de Jean-Marc Lalanne et Axelle Ropert dans le numéro 728 des Inrockuptibles (novembre 2009).

(4) Les Inrockuptibles, numéro 728. Cette rupture dans la description de l’adolescence remonterait, selon l’article, à Permanent Vacation de Jim Jarmush (1980).

(5) Utilisé de manière quasi-systématique par Stanley Kubrick dans Shining, c’est un système compliqué de bras articulés montés sur vérins hydrauliques ou sur ressorts, qui présente l’avantage d’absorber la majeure partie des irrégularités du mouvement de l’opérateur. On peut aussi noter que le héros de GVS porte le même prénom que le héros de Orange mécanique. Est-ce le fait du hasard ?

(6) Gus Van Sant aime beaucoup concevoir ses films comme des variations des films qui l’ont profondément marqués pendant ses études et/ou qui font partie du patrimoine mondial. Ainsi, My Own Private Idaho est une variation du Falstaff d’Orson Welles ; Elephant renvoie à Jeanne Dielman de Chantal Akerman ; Paranoïd Park emprunte beaucoup au Juliette des Esprits de Frederico Fellini (y compris quelques morceaux de la bande-son composée par Nino Rota). Les rêvasseries d’Alex filmées en 8 mn renvoient très clairement à celles de la Juliette de Fellini interprétée par Giulietta Masina.

(7) Concernant cette « expérience esthétique », voir l’article de Cyril Neyrat dans le n°627 des Cahiers du cinéma.

(8) Le travail sur la lumière en particulier mais aussi l’usage du ralenti sont l’œuvre de Christopher Doyle et rappellent étrangement son travail pour Wong Kar-waï.

(9) Voir article de Florence Bernard de Courville dans le n°41 de la revue Eclipses publié en 2007 et consacré à Gus Van Sant (pages 128 à 137).

 

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9 mars 2010 2 09 /03 /mars /2010 09:19

Voilà, ça y est… Le Club ciné est sur le pied de guerre, si j’ose dire ! Nous sommes à J-1 du début de la quatrième édition du Boulevard Sainte, Rencontres de la critique et de la culture (le programme sur www.bdsaintebeuve.fr) et mettons la touche finale à la projection/débat du jeudi 11 mars, qui aura lieu au cinéma Les Stars à 20h45. Au programme : une fausse bonne idée qui vire au drame, des chemises blanches, l’histoire de l’Allemagne et sûrement beaucoup d’échanges. Alors, pour les habitants de Boulogne et de ses environs, afin de donner envie de voir (ou de revoir) le film en notre compagnie jeudi soir, nous vous livrons un avis éclairé sur le denier film en date d'un jeune réalisateur allemand, Dennis Gansel. Il s'agit de La Vague sorti en France l'année dernière.

 

 

Dennis Gansel
Dennis Gansel, réalisateur allemand né en 1973, réalise avec La Vague (Die Welle) son troisième long métrage. Après Napola, film sorti en 2003, c'est la deuxième fois qu'il aborde les questions complexes de l'éducation et du fascisme.
 



La Vague
de Dennis Gansel (2009)

 

         Inutile de nier : on s'est tous déjà dit, en regardant autour de nous "celui-là, il est trop gros", "celle-là, elle est trop blonde", "j'aime pas les hippies", voire pour les moins tolérants "j'aime pas les juifs, les musulmans, les homos... (biffer les mentions inutiles)". Le principe de la Vague est simple : tant que vous arrivez à rentrer dans une chemise blanche, vous pouvez en être. Une certaine idée de la solidarité, qui prend pied dans un lycée allemand (notons toutefois que le fait-divers initial, ainsi que l'adaptation littéraire qui en fut faite et sert de base au scénario du film, se tenait dans un lycée américain... Vérité comme adaptation ne sont pas dénués d'intérêt) tout ce qu'il y a de plus ordinaire, au cours d'une semaine thématique autour des principales idéologies politiques. Autocratie, donc. Autocratie instituée plus ou moins involontairement par un sympathique professeur d'éducation physique plein de bonnes intentions, et qui finira par vaincre son propre concept, puisque l'autocrate, d'abord enivré par son nouveau pouvoir, perdra le contrôle de sa création.

Le fait divers a toujours eu cette saveur particulière, trop réel pour être un rêve, mais trop fictif pour appartenir à la réalité. Rien d'étonnant à ce que les cinéastes aient fréquemment envie de faire leur petite cuisine autour. Mais batifoler avec le vrai-de-vrai, c'est toujours prendre le risque de mettre trop de "piment", pour continuer sur cette belle métaphore. Et soyons objectifs, on ne peut pas dire que Dennis Gansel ait eu la main légère. Mais soyons toujours objectifs : ça marche, la sauce prend plutôt bien.

Certes, le film, parfois, agace. Une fin plus que prévisible, déjà, et, plus pragmatique, une caméra qui vibre (pas assez pour être un parti-pris, mais suffisamment pour coller la migraine), une musique trop présente (et souvent très forte), quelques scènes plates, insipides et inutiles, des plans un peu sommaires, des tentatives de montage un peu prétentieuses (je ne me suis toujours pas remise de la nausée que m'a collé le générique, ni du fou-rire de la séquence au ralenti) et une évidente indigestion du réalisateur de la fadeur de sa propre enfance, tant il fantasme autour du cliché adolescent déjà bien martelé par le cinéma actuel...

Mais à côté de ça, l'histoire est rondement menée, les acteurs sont (dans l'ensemble) assez efficaces, la plastique est plutôt agréable et l'ensemble est divertissant sans être bête. Mention spéciale aux plans des gens en uniformes, notamment (bien sûr...) dans la scène de l'amphithéâtre (c'est d'ailleurs une des affiches, si je ne m'abuse), qui transmettent intensément le sentiment d'unité. Pour un peu, ça ferait rêver, tiens.

Et aucun doute, le réalisateur, lui, ça le fait rêver. Impossible de ne pas se rendre compte de l'infinie tendresse, l'inébranlable admiration avec laquelle il traite son sujet. Peut-être trop, parfois, et la scène de la soirée au bord du lac prend un goût de German History X (version édulcoré du brillant original de Tony Kaye) qui n'a pas vraiment de réalité (et si la "masse" est présente, on n'y retrouve pas l'unité visuelle de l'uniforme, qui donne pourtant toute sa force et sa "matérialité" à cette Vague). Cependant, ce regard à la limite de la candeur adolescente n'en reste pas moins assez vitriolé, quoi qu'on pourrait l'attendre plus incisif.

"Pourrait-il y avoir une nouvelle dictature en Allemagne ?". Dennis Gansel fait ainsi résumer son propos à son protagoniste Rainer Wenger, mais (en bons chauvins que nous sommes), nous pourrions tout autant élargir la question : pourrait-il y avoir une nouvelle dictature, là, quelque part dans tous nos jolis pays héritiers victorieux de la fin du Troisième Reich et du totalitarisme soviétique (c'est bel et bien aux Etats-Unis qu'a eu lieu le fait divers !) ? La question mérite d'être posée, et le film prouve comme une piqûre de rappel à ceux qui étaient passés à côté du fait-divers et du roman que la réponse mérite tout de même d'être donnée.

 

Thaïs

 

 

D’autres textes sur La Vague parus sur le blog :
La Vague : "collaboration" positive des 2nde 8

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8 mars 2010 1 08 /03 /mars /2010 09:31


Kathryn Bigelow... première réalisatrice récompensée par l'Académie pour son film Démineurs. Elle a réussi là où Jane Campion ou Sofia Coppola avaient dû s'incliner. Raccord avec la Journée Internationale de la Femme. Mais une question me taraude depuis cette nuit : était-ce bien nécessaire de récompenser Sandra Bullock ?




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