Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
21 mai 2009 4 21 /05 /mai /2009 17:09

Independencia 



 

Le festival nous présente enfin un film philippin qui mérite réflexion. Une philippine et son fils, à l'annonce de la guerre, quittent leur village natal pour s'isoler en forêt à l'abri de toute menace militaire: tel est le synopsis de ce film de Raya Martin présenté à Un certain regard.

 


 

Ce qui frappe d'abord en voyant les premières scènes du film, c'est sa pellicule et sa qualité : celles-ci ont en effet un aspect très désuet, qui rappelle les photo-portraits philippins du début du siècle dernier (un parti pris avoué de l'auteur). L'illusion du cinéma est ainsi poussée à l'extrême : l'histoire, bien qu'ayant lieu en pleine forêt tropicale, a intégralement été tournée en studio, au moyen de plantes synthétiques et de toiles de fond peintes, habile procédé qui ne se remarque pas dès les premières images.

On peut dès lors y voir une volonté du réalisateur de se démarquer de la vague du cinéma occidental, du cinéma d'Hollywood, à la recherche d'un réalisme toujours plus poussé et d'une volonté d'images généralement nettes et impeccables (on retrouve un procédé similaire dans le western baroque Sukiyaki Western Django de Takashi Miike). Ce désir de se forger un style visuel à contre-courant des productions actuelles (Kinatay de Mendoza) est alors en parfaite adéquation avec une partie du propos du film, qui vise à dénoncer la présence américaine dans des Philippines alors en guerre contre le colonialisme (comme le montre la scène du faux reportage propagandiste qui intervient en guise d'ellipse au milieu du film) ; fond et forme se rejoignent.

Cela explique l'aspect désuet mais étonnant des effets spéciaux, à mille lieues des travaux numériques actuels : pour prendre l'exemple le plus flagrant, la scène de l'orage final fonctionne au moyen d'une alternance de plans plus ou moins lumineux et de brutales coupures noires ; par une économie de moyens, le réalisateur sait planter une atmosphère particulièrement inquiétante et oppressante.

Une atmosphère onirique plane sur chaque plan, qui par ailleurs s'apparentent le plus souvent à des saynètes ou à des tableaux (l'absence de mouvement de la caméra met en place de multiples plans fixes faisant écho aux photo-portraits) : le choix du studio et des plans fixes récurrents (la cabane, divers endroits de la forêt) donne l'impression au spectateur que les personnages tournent en rond, l'impression d'un rêve sans fin.


Onirisme cauchemardesque, par l'illusion de voir apparaître à l'écran des figures, des visages (des bouts de bois prennent ainsi, l'espace d'un instant, les traits du Cri de Munch), des silhouettes inquiétantes qui se fondent dans la nature ; en autres apparitions, un spectre noir aux contours éclairés et le rêve de l'enfant (mais est-ce vraiment un rêve?).

Finalement, une histoire peu facilement abordable : elle ne nécessite pas de connaissances historiques très précises, mais son aspect flou et peu rythmé peut en dérouter plus d'un. En conséquence, la visée du réalisateur n'est pas particulièrement évidente à saisir.

Cependant, l'aspect visuel, dont la singularité et l'audace appartiennent d'ordinaire au court-métrage, capte le spectateur et maintient l'intérêt d'une certaine part du public, qui aurait pu ne pas être réceptif à l'histoire.

 

 

Marion, Léa, Félix

Partager cet article
Repost0

commentaires

É
D'autres infos sur le cinéma philippin. Le 1er réalisateur philippin est José Nepomuceno (1983-1959)au départ propriétaire d'un studio photographique . Les 1ers films philippins sont souvent des récits locaux fondés sur des histoires d'amour et des récits populaires. Danse et chanson y tiennent une place souvent importante. L'influence d'Hollywood n'y est pas négligeable, certains cinéastes, dans les années 20, faisant d'ailleurs leurs classes dans la Cité des Anges (Vicente Salumbides ou encore Julien Manansala). <br /> Pour plus d'infos prière de consulter le dictionnaire du cinéma asiatique (éditions Nouveau monde).
Répondre
É
Quelques infos sur l'histoire du cinéma philippin :<br /> - 1897 : première projection probablement à Manille. <br /> - 1919 : 1er film philippin.<br /> - 1930 : 1er film parlant.<br /> Raya Martin a sans doute voulu rendre hommage aux pionniers du cinéma philippin.
Répondre
É
Pour compléter ma réponse et rebondir sur le jugement émis sur le film par madame Sourget, je dois préciser qu'à l'issue de la projection, le dispositif mis en place par le réalisateur m'a laissé un peu perplexe. On peut légitimement se poser la question du bien-fondé des choix opérés ...
Répondre
É
En ce qui me concerne, j'ai eu beaucoup de mal à me repérer dans le temps en partie car le début de la séance a été un peu perturbé (les spectateurs n'étaient pas tous installés) du coup j'ai un peu zappé la séquence d'ouverture. Visiblement l'action se déroule à la fin du 19è siècle ou au début du 20è au moment où la colonisation espagnole laisse la place à la domination américaine contre laquelle une partie de la population philippine a lutté. Les choix esthétiques du metteur en scène font peut-être écho aux premières productions cinématographiques philippines mais existait-il déjà un cinéma philippin ? Je ne sais pas. Cela dit, l'analyse des élèves me paraît pertinente : le film dénoncerait la contamination du cinéma hoolywoodien et de ses codes aux Philippines au moment même où une sorte de nouvelle vague fait beaucoup parler d'elle (3 films philippins présents à Cannes cette année, on a chroniqué 2)par la vigueur et la diversité de ses productions. Ce thème était déjà très présent dans un film au programme de lycéens au cinéma cette année : The Host (Corée du Sud). Deviendrait-il une préoccupation de certains cinéastes d'Asie du Sud-est ?
Répondre
R
Ne faut-il pas voir dans ce film une métaphore de l'histoire des Philippines (les Esoagnols, les Américains...)? Peut-être aussi sur les mythes nationaux, dont certains nous échappent. Enfin, parler de référence aux Contes de la lune vague après la pluie est-il totalement hors sujet? Des professeurs d'histoire et Thaïs la cinéphile sauront peut-être m'éclairer Personnellement, j'ai trouvé que ce film était un exercice de style plutôt artificieux, qui montrait trop sa virtuosité pour être vraiment satisfaisant. La lenteur au cinéma ne me dérange pas; mais là, j'ai éprouvé des difficultés à réprimer quelques bâillements. Cependant, Independencia est un objet qui par sa facture même pose des questions esthéthiques et cinématographiques... Donc pas inintéressant.
Répondre