Independencia
Le festival nous présente enfin un film philippin qui mérite réflexion. Une philippine et son fils, à l'annonce de la guerre, quittent leur village natal pour s'isoler en forêt à l'abri de toute menace militaire: tel est le synopsis de ce film de Raya Martin présenté à Un certain regard.
Ce qui frappe d'abord en voyant les premières scènes du film, c'est sa pellicule et sa
qualité : celles-ci ont en effet un aspect très désuet, qui rappelle les photo-portraits philippins du début du siècle dernier (un parti pris avoué de l'auteur). L'illusion du cinéma est ainsi
poussée à l'extrême : l'histoire, bien qu'ayant lieu en pleine forêt tropicale, a intégralement été tournée en studio, au moyen de plantes synthétiques et de toiles de fond peintes, habile
procédé qui ne se remarque pas dès les premières images.
On peut dès lors y voir une volonté du réalisateur de se démarquer de la vague du cinéma
occidental, du cinéma d'Hollywood, à la recherche d'un réalisme toujours plus poussé et d'une volonté d'images généralement nettes et impeccables (on retrouve un procédé similaire dans le western
baroque Sukiyaki Western Django de Takashi Miike). Ce désir de se forger un style visuel à contre-courant des productions actuelles (Kinatay de Mendoza) est alors en parfaite adéquation avec une
partie du propos du film, qui vise à dénoncer la présence américaine dans des Philippines alors en guerre contre le colonialisme (comme le montre la scène du faux reportage propagandiste qui
intervient en guise d'ellipse au milieu du film) ; fond et forme se rejoignent.
Cela explique l'aspect désuet mais étonnant des effets spéciaux, à mille lieues des travaux
numériques actuels : pour prendre l'exemple le plus flagrant, la scène de l'orage final fonctionne au moyen d'une alternance de plans plus ou moins lumineux et de brutales coupures noires ; par
une économie de moyens, le réalisateur sait planter une atmosphère particulièrement inquiétante et oppressante.
Une atmosphère onirique plane sur chaque plan, qui par ailleurs s'apparentent le plus
souvent à des saynètes ou à des tableaux (l'absence de mouvement de la caméra met en place de multiples plans fixes faisant écho aux photo-portraits) : le choix du studio et des plans fixes
récurrents (la cabane, divers endroits de la forêt) donne l'impression au spectateur que les personnages tournent en rond, l'impression d'un rêve sans fin.
Onirisme cauchemardesque, par l'illusion de voir apparaître à l'écran des figures, des visages (des bouts de bois prennent ainsi, l'espace d'un instant, les traits du Cri de Munch), des
silhouettes inquiétantes qui se fondent dans la nature ; en autres apparitions, un spectre noir aux contours éclairés et le rêve de l'enfant (mais est-ce vraiment un rêve?).
Finalement, une histoire peu facilement abordable : elle ne nécessite pas de connaissances historiques très précises, mais son aspect flou et peu rythmé peut en dérouter plus d'un. En conséquence, la visée du réalisateur n'est pas particulièrement évidente à saisir.
Cependant, l'aspect visuel, dont la singularité et l'audace appartiennent d'ordinaire au court-métrage, capte le spectateur et maintient l'intérêt d'une certaine part du public, qui aurait pu ne pas être réceptif à l'histoire.
Marion, Léa, Félix