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3 août 2011 3 03 /08 /août /2011 13:32

Suite et fin de l'étude consacrée au film d'Arnaud Desplechin.

 Elisabeth (Anne Consigny) en compagnie de Faunia (Emmanuelle Devos), la petite amie de son frère Henri. Retrouvera-t-elle la sérénité et la joie de vivre qu'elle semble avoir perdues bien avant la brouille avec Henri ?

 

 

SEQUENCE 3 / La pièce de Basile et Baptiste (le prince Zorro).

(1h41 à 1h46)

 

Le carton annonce le titre de la pièce que vont jouer les petits-enfants Vuillard (Baptiste et Basile) devant la famille le soir de Noël. Le titre renvoie à un héros légendaire, Zorro. Il incarne le justicier masqué, redresseur de torts. Le carton est un dessin et renvoie au monde de l’enfance comme le théâtre d’ombres dans la première séquence étudiée. Avant la représentation, la famille Vuillard s’affairent.

- certains dressent la table du réveillon dont Junon.

- Abel et Sylvia sont dans les « loges » (en fait, la salle de bain) et se préparent pour la représentation.

- dans le salon, Basile et Baptiste accueillent les spectateurs (Andrée, Claude, Simon).

- au dernier étage, Elisabeth et Henri se retrouvent : c’est leur première confrontation depuis cinq ans.

La pièce écrite par Baptiste et Basile raconte l’histoire d’un prince exclu pour sa méchanceté et le chagrin causé à sa sœur (il a couché avec une « bique »). Pardonné par le roi, amputé d’un bras en guise de punition, il peut réintégrer la famille. La pièce ressemble étrangement à l’histoire de la famille Vuillard et plus précisément à celle d'Henri : les fautes commises par leur oncle, son « bannissement » et la rupture entre Henri et Elisabeth. Mais la pièce annonce peut-être l’issue de cette tragédie familiale : Henri fait don de sa moelle pour guérir Junon et réintègre ainsi la famille. Vision « merveilleuse » de l’enfance, capable de fabriquer de l’imaginaire à partir de la vie quotidienne, de recycler les traumatismes personnels et/ou familiaux pour mieux les affronter avec aussi cette part de cruauté propre à l’enfance. A l’échelle du film, c’est le moment du renversement puisque la possibilité d’une certaine forme de réconciliation y est envisagée.

 

Par le choix de la mise en abyme, Arnaud Desplechin défend peut-être l’idée de la fonction cathartique de l’art en général et de la création littéraire en particulier. Elisabeth et Henri sont absents de la représentation. Au dernier étage de la maison (le grenier, lieu où on enferme traditionnellement les souvenirs et les objets du passé est désormais réaménagé et donc en chantier, métaphore d’une famille en reconstruction ?) ; le frère et la sœur ont une explication après cinq ans de brouille. On notera la tonalité volontiers tragi-comique de cette confrontation : le règlement de comptes violent et cruel digne d’une tragédie est ponctué des plaisanteries et des provocations d’Henri.

 

Henri emploie des termes de la tragédie : « offense », « péché », des termes forts qui renvoient à l’idée de faute, de transgression morale (piste de l’inceste frère/sœur envisagée par Ivan sur le mode de la plaisanterie lors d’une discussion avec Sylvia). Mais on ne saura jamais de quelle offense il s’agit et le spectateur ne saura jamais vraiment quelles sont les vraies raisons de la brouille entre Henri et Elisabeth. Le réalisateur ouvre plusieurs pistes (rivalités affectives conséquences de la mort de Joseph, incompatibilités personnelles, inceste, etc…) mais n’en retient aucune… Histoire de rappeler que ce qui se joue entre les membres d’une famille, entre des individus est forcément complexe. Le rapport aux autres est difficile : thème récurrent du cinéma de Desplechin décliné, de film en film, au sein de différents groupes : les amis, le couple, la famille…

 

Le réalisateur fait le choix du montage alterné : les deux pièces se correspondent ; le réel et la fiction dialoguent. Du coup, le projet de Desplechin se précise : derrière l’histoire de la famille Vuillard, il y a aussi une réflexion sur la fonction de l’art, la place de la littérature et du cinéma dans nos vies. Un conte de Noël est film à plusieurs niveaux de lecture (apparents et cachés) et c’est ce qui en fait la profondeur et la richesse.

 

NOTES :

(1) Zorro est un personnage de fiction crée à partir de 1919 par Johnston McCulley et exploité par Hollywood tout au long de l’histoire des studios : dès l’époque du muet (voir film de Fred Niblo avec Douglas Fairbanks en 1920) jusqu’à la version de Martin Campbell avec Antonio Banderas en 2005.

(2) Catharsis : notion aristotélicienne qui, dans le théâtre grec, désigne l'épuration des passions, la « purification » par le moyen de la représentation dramatique. En psychanalyse, c’est la décharge émotionnelle libératrice liée à l’extériorisation, la verbalisation du souvenir d’événements traumatiques longtemps refoulés.

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