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12 janvier 2010 2 12 /01 /janvier /2010 00:30

Il est l’un de ceux qui ont marqué l’histoire récente du cinéma sinon mondial du moins occidental. « Un grand inventeur de formes, le maître d’un univers aussi singulier que foisonnant, homme-orchestre et touche-à-tout de génie » ayant peu d’égal dans le cinéma occidental, sinon probablement Gus Van Sant (1). Alors, revoir Une histoire vraie de David Lynch, ça fait quoi ? Réponse maintenant…

 

 
Richard Farnsworth dans Une histoire vraie, road-movie simple et apaisé au coeur des Etats-Unis. Cascadeur et acteur (de westerns pour l'essentiel), il a été nominé à l'oscar du meilleur acteur pour son rôle dans le film de David Lynch. Il est mort en 2000.


 

The Straight Story (Une histoire vraie) de David Lynch (1999)

 

 

Découvrir Une histoire vraie après l’expérience Lost Highway a dû avoir un effet identique sur le spectateur de 1999, et plus particulièrement les fans « hardcore » du maître, que sur le spectateur de 1980 découvrant Elephant Man après l’inaugural et insurpassable Eraserhead. Encore qu’ils ne devaient pas être bien nombreux, ceux qui ont eu la chance ou simplement le flair, peut-être même les deux, de voir ces deux premiers films dans l’ordre chronologique ! Bref, ce que je veux dire c’est qu’à priori, vu de loin, de très loin même, il y a très peu de liens entre la veine « barrée », (genre Eraserhead, Twin Peaks, le film qui annonce tous les dérèglements à venir, Lost Highway, Mulholland Drive, INLAND EMPIRE) du réalisateur et ses films, comment dire, plus « sages » comme Elephant Man et donc Une histoire vraie.

        Pour Elephant Man, c’est entendu : c’est probablement le film le plus classique –le plus académique ou consensuel, diront certains !- d’un réalisateur, encore confidentiel mais déjà culte pour ceux qui avaient alors la chance de connaître son travail, répondant à ce moment précis à une commande dans le cadre des studios (2). S’agissant d’Une histoire vraie, l’affaire est plus compliquée qu’il n’y paraît : voilà un film « lynchéen » en diable sans en avoir pourtant l’air… Partant d’un pitch ultra-simple, inspiré d’une histoire vraie (Alvin Straight a existé pour de bon et a vraiment entrepris son périple à l’automne 1994), David Lynch livre ici une œuvre qui respire à la fois simplicité et quiétude (3).

        C’est vrai que Lynch prend le spectateur à rebrousse-poil quand il propose Une histoire vraie. D’abord, il rompt de manière assez surprenante avec les portraits de « women in trouble » que le réalisateur aime tant à peindre dans ses films les plus détraqués : pas de chanteuse de cabaret tout entière soumise aux délires SM d’un dangereux psychopathe, pas de sex-symbol blonde platine embarquée dans un trip sous acide pour échapper à une mère vengeresse, pas de lycéenne prostituée et cocaïnomane retrouvée morte emballée dans du plastique, pas d’actrice en galère perdue dans une histoire, ou plutôt des histoires, qu’elle ne comprend pas… Non, rien de tout cela dans Une histoire vraie, juste un paisible septuagénaire du Middle West décidant de se réconcilier avec un frère qu’il n’a pas vu depuis une paire d’années. Et pour cela, il enfourche une tondeuse à gazon tractant une remorque de fortune.

        Ici, pas de circulation entre plusieurs mondes, entre différents niveaux de réalité communiquant entre eux par d'improbables couloirs spatio-temporels, sans que les personnages en soient forcément conscients, et dont les images seraient la matérialisation ; pas de « passeurs » énigmatiques à l’image de la voisine de Nikki dans INLAND EMPIRE, des petits vieux de Mulholland Drive, de l’homme mystère dans Lost Highway, des Chalfont, de Bob ou de Gerard dans Twin Peaks. Pas de résurgence, non plus, de l’inconscient et de la pulsion portées par des séquences ou des plans qui rattacheraient le cinéma de Lynch à un axe hitchcocko-bunuelo-langien, sans parler de l’influence de Stanley Kubrick. Non, rien de tout cela dans Une histoire vraie, juste un film construit par des images simples confinant souvent au cliché et conférant au cinéma de Lynch une immédiateté et une naïveté parfaitement assumées. En cela, « Une histoire vraie est un film totalement lynchéen ». (4)

        Et la musique est au diapason : dans Une histoire vraie, pas de BO flippée, oscillant entre standards des années 50 ou 60, comptines mélancoliques susurrées par une Julee Cruise descendue des sphères, trips sonores schizophrènes emmenés par Bowie et déflagrations soniques vociférées en enfer par Rammstein ou Marilyn Manson. Non, rien de tout cela… et en lieu et place, Angelo Badalamenti, le fidèle compagnon, livre un partition discrète et simple se fondant parfaitement avec la magnificence et la quiétude des paysages ruraux traversés par Alvin au cours de son périple.

        Car ce cinéma, et plus particulièrement Une histoire vraie, déroule les images de l’americana et donc des mythes sur lesquels repose l’identité des Etats-Unis. Ainsi, Alvin Straight quand il quitte Laurens, Iowa pour se rendre dans le Wisconsin où habite son frère, il le fait à la vitesse de sa tondeuse à gazon et on imagine aisément que les pionniers partis à la conquête de ce grand pays n’allaient guère plus vite. Le road-movie, genre à part entière dans le cinéma américain, découle de cette Histoire et Lynch s’inscrit dans cette tradition comme c'était déjà le cas pour Sailor et Lula. Sont alors convoquées nombre d’images iconiques telles que la petite bourgade du fin fond des USA avec ses maisons proprettes, leurs pelouses bien vertes comme une réminiscence du Lumberton de Blue Velvet, des routes interminables permettant à Alvin de faire de nombreuses rencontres et de partager les expériences d'un vieil homme ayant acquis une certaine sagesse, le Mississippi (que doit traverser ce héros ordinaire pour rejoindre son frère), l’obligatoire feu de camp qui n’est pas sans rappeler quelques grands westerns d’Howard Hawks, de John Ford ou d’Anthony Mann. Ce ne sont là que quelques exemples qui rappellent que David Lynch est un cinéaste américain, né à Missoula dans le Montana, et que tous ses films sont marqués par l’Histoire mythifiée de son pays, son histoire à lui et les images éternelles du Hollywood de l’âge d’or.

        Et de découvrir une autre facette du cinéaste, plus apaisée, plus humaniste, moins pessimiste aussi. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller jeter un œil sur son Interview Project commencé en 2009 (5). D’une certaine manière, c’est peut-être pour lui une façon de poursuivre ce travail et de proposer de multiples et attachantes histoires vraies…

 

 

Eric POPU

 

NOTES :

(1) Les Inrockuptibles, hors série consacré au réalisateur en 2002.

(2) Conçu comme un hommage très appuyé au Freaks de Tod Browning, le film propose une forme très conventionnelle jusqu’au noir et blanc de rigueur et une narration linéaire et intelligible (on est à des années lumières de INLAND EMPIRE). Le film creuse pourtant, après Eraserhead, un des motifs récurrents de l’œuvre de Lynch : mettre en scène des personnages affligés de difformités ou de handicaps plus ou moins prononcés. Le bébé d’Eraserhead, le Baron Harkonnen de Dune, Juana Durango dans Sailor et Lula, Gordon Cole, Nadine, le manchot et le nain de Twin Peaks (le même acteur est aussi présent dans Mulholland Drive) rappellent l’attachement du réalisateur –probablement lié à sa vie personnelle- à ces personnages hors norme si on peut dire.

(3) Concernant la genèse du film, se reporter à la monographie essentielle de Michel Chion, Cahiers du cinéma, Collection « Auteurs », nouvelle édition augmentée, 2001 (pages 252 et 253).

(4) S’agissant de la nature des images chez Lynch, lire le passionnant ouvrage d’Eric Dufour, David Lynch : matière, temps et image, publié en 2008 aux éditions Vrin.

(5) Travail proposé par David Lynch mais réalisé par une équipe de cinéastes dont son fils Austin Lynch, et visible sur le site du réalisateur : http://interviewproject.davidlynch.com

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11 janvier 2010 1 11 /01 /janvier /2010 18:40

Une dépêche de l'AFP vient de nous apprendre la mort d'un des piliers de la Nouvelle Vague, ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma : Eric Rohmer. Le réalisateur, né à Tulle, avait 89 ans. Son dernier long métrage Les Amours d'Astrée et Céladon, adaptation d'un classique de la littérature pastorale du début du XVIIème siècle (L'Astrée d'Honoré d'Urfé), datait de 2007.



Eric Rohmer, en 2001, au festival de Venise recevant un Lion d'Or récompensant l'ensemble de sa carrière .

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9 janvier 2010 6 09 /01 /janvier /2010 16:25

L’actualité cinématographique nous réserve parfois quelques surprises : voici que déboule sur nos écrans le dernier long métrage d’Alejandro Amenabar. Après le succès de Gladiator, Hollywood a renoué avec le péplum, un des grands genres (né cependant en Italie à l’époque du muet) qui a autrefois symbolisé l’âge d’or des studios, au même titre que le western et la comédie musicale. Le Cléopâtre de Mankiewicz (1963) avait alors sonné le glas du péplum à Hollywood. Amenabar a-t-il réussi à reprendre le flambeau ? Pas si sûr… DeMille, Wyler, Kubrick, Hawks peuvent dormir tranquille !

 

Agora le nouveau film d'AmenabarLe réalisateur Alejandro Amenabar et son actrice principale, Rachel Weisz vue dans La Momie, The Fountain, My Blueberry Nights et oscarisée en 2006 (second rôle) pour sa prestation dans The Constant Gardener.
 

Agora de Alejandro Amenabar (2010)

 

 

De Tesis à Mar Adentro en passant par Les Autres et Ouvre les Yeux, nul doute qu'Alejandro Amenabar est un réalisateur éclectique. Ainsi, lorsqu'il décide de succéder à Oliver Stone et Wolfang Petersen dans le délicat genre du péplum sauce Hollywood, le grand monsieur du cinéma chilien s’est retrouvé tout naturellement à Cannes, où l'on attendait beaucoup de lui. A fortiori quand il compose avec Rachel Weisz, Max Minghella (le fils d'Anthony), Oscar Isaacs et Michael Lonsdale.

Le postulat de départ est doté d'un très gros potentiel de séduction : Amenabar se pose en conteur de l'histoire d'Hypatie, une philosophe injustement belle et intelligente, fille de Théon, qui dirige la Grande Bibliothèque d'Alexandrie, dont l'élève et l'esclave se disputent l'amour. Orchestrant son idée de départ, aux allures de biopic rom-antique, sur fond de persécutions religieuses et de féminisme très actuel, le réalisateur réunit ici tous les ingrédients d'un grand film, lorgnant potentiellement autant chez Cecil B. DeMille que chez Jane Austen.

Mais dès la séquence d'ouverture, le spectateur est déboussolé. Plus "couverture du nouveau Bernard Werber" que matérialisation visuelle d'une réflexion sur la place de l'homme dans l'univers, le trip mystique au milieu des planètes (qui reviendra ponctuer le film de façon assez incompréhensible) annonce la couleur : Agora sera prétentieux ou ne sera pas.

Le reste du film confirme la donne. Amenabar s'autorise quantité de jeux de mise en scène artificiels, qui desservent la sobriété et l'intelligence de son propos. Plans aériens, accélérations et séquences filmées à l'envers n'apportent rien de plus qu'une incompréhension qui prête à sourire, puisqu'ils sont sans rapport avec l'histoire et sans justification autre que l'expérience formelle. De plus, ces interventions sont ponctuelles et ne s'appuient pas sur une continuité dans la réalisation : on ne peut donc y voir qu'un maladroit écho dans la chair concrète du film de la répétition des séquences interstellaires.

Ce qu'annonçaient ces plans de l'espace (qui ne feront que faire apprécier d'autant plus au cinéphile averti la performance technique de Kubrick une quarantaine d'années auparavant) est confirmé par la suite : Amenabar ne gère pas la construction de son film. Oscillant maladroitement entre deux intrigues, il peine à choisir l'échelle de son film, filmant à parts égales les malheurs d'Hypatie et la montée sanglante du christianisme. Sans vraiment trouver d'équilibre, et sans en préférer l'une à l'autre, il égare son spectateur et brise le rythme de son récit.

On pourra saluer les tentatives individuelles des acteurs de donner à leurs scènes une dynamique propre (Oscar Isaacs, particulièrement, est celui qui y réussit le mieux). Pas de performance d'interprétation, mais toutefois un casting investi, bien que parfois un peu caricatural. Malheureusement, le jeu des acteurs ne suffit pas à redynamiser la trame éclatée du récit, qui bascule brutalement d'une violence gratuite et crue à un intellectualisme à la fois artificiel et élitiste.

De plus, si Amenabar évite un peu plus élégamment que ses prédécesseurs l'écueil de l'argot du Bronx dans la bouche de ses héros antiques, ses maladresses se cachent ailleurs. Dans un décor qui se veut trop réaliste pour proclamer sa valeur symbolique, notamment, le réalisateur laisse traîner de douloureux anachronismes (l'oeil critique ne manquera pas de relever la présence cocasse de la Louve du Capitole à Alexandrie, agrémentée des Remus et Romulus ajoutés au XVIème siècle, mais également l'étrangeté du titre qui, non content de ne pas avoir le moindre rapport avec le récit, désigne une place grecque et non pas romaine). Amenabar ne fait donc qu'entretenir ici un amalgame de clichés, coagulé autour de personnages caricaturaux, soutenant une histoire sobre flagellée par un traitement grandiloquent. Décevant et maladroit.

 

Thaïs

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5 janvier 2010 2 05 /01 /janvier /2010 20:22

Non, non et non… La saison des bilans n’est pas terminée… Voici le classement des dix films qui ont marqué l’année cinéma de Thaïs. Une sélection particulièrement riche qui donne envie de voir des films sur lesquels on ne s’est pas beaucoup arrêté. Séances de rattrapage en perspective grâce au DVD !!!

 

1. Etreintes Brisées de Pedro Almodovar.

 

2. Un Prophète de Jacques Audiard.

 

3. Where the Wild Things Are de Spike Jonze.

 

4. Coraline de Henry Selick.

 

5. Gran Torino de Clint Eastwood.

 

6. Milk de Gus Van Sant.

 

7. La merditude des choses de Félix Van Groeningen.

 

8. Irène de Alain Cavalier.

 

9. Frost/Nixon de Ron Howard.

 

10. L'Imaginarium du Docteur Parnassus de Terry Gilliam.


 

Et, en cadeau, la critique par Thaïs d'un des films préférés de Thaïs. N'allez pas dire, cher lecteur, que vous n'êtes pas comblés ! Un grand merci à elle.


Irène d'Alain Cavalier (2009)

 

Sans doute aucun film n'avait plus sa place dans la sélection un Certain Regard que celui qu'Alain Cavalier lui soumettait cette année. Parce qu'Irène, c'est d'abord et avant tout un regard. Ce regard, c'est celui d'un homme qui a aimé, d'un homme qui aime, d'un homme qui, par son souvenir et sa pellicule, rend son Irène immortelle.

L'histoire est simple : il n'y a pas d'histoire. Cavalier déroule sa psychanalyse sur celluloïd suivant le principe de l'association d'idées. Pas vraiment de début, pas vraiment de fin, seulement un fil conducteur autour duquel s'organisent (ou plutôt ne s'organisent pas) des souvenirs, des sensations, des scènes et des images éparses. Et dans cette oeuvre vivante se crée une véritable relation entre l'auteur et le spectateur. Il gagne en confiance, en assurance, et se livre de plus en plus intimement. Le spectateur se fait confident, parfois presque voyeur.

Visuellement, Irène porte la patte de l'autobiographie filmée : Cavalier, une intrusive caméra au bout du bras, se cherche. Et c'est tantôt son visage (à demi-masqué par son outil) dans un miroir, tantôt des bribes de textes issues des journaux qu'il tenait quotidiennement et qui constituent le support privilégié de l'exploration de ses souvenirs, qu'il capte et nous livre, avec toute la crudité de la révélation. Parfois, il fait revivre son Irène à travers un tas de coussins qui évoque une silhouette lubrique, une photo qu'il explore... L'objet, encore imprégné de sa présence, devient le catalyseur du travail de mémoire.

La place du son est essentielle : à nouveau c'est la confidence qui préoccupe Cavalier. Celui-ci se place en narrateur omniscient, racontant son histoire au passé, au présent... C'est lui, l'homme du hors-champ, qui explore son propre inconscient, qui mène la danse ; nous racontant, mais aussi se racontant, l'histoire qu'il désire. Peu ou pas de musique, ici, sauf si elle participe du souvenir. En revanche, la respiration est là, nous rappelant qu'aussi momifiés que soient les récits évoqués, ils n'en demeurent pas moins de la vie. Rythment aussi la confidence-fleuve les bruits extérieurs, ceux de Cavalier redécouvrant du bout des doigts son passé ; des pages qui se tournent, un carnet de cuir qui flambe sur un camping-gaz.

Mais si Irène pourrait apparaître comme un film bavard, le silence y joue pourtant un rôle primordial. Evoquant le travail de mémoire immédiate du réalisateur, et laissant au spectateur la place d'imaginer, ou simplement d'assimiler entre eux les fragments d'une histoire complexe et désordonnée, ce silence est finalement celui qui crée l'unité d'un film basé sur l'idée-même de puzzle. Finalement, c'est peut-être tout autant dans la parole que dans son absence que se reconstitue cette vérité subjective que recherche Cavalier.

Ballet visuel empreint de poésie, Irène oppose l'abstraction du souvenir qui s'efface à la clarté du témoignage écrit. Réflexion sur la vieillesse, la mémoire et le temps qui passe, ce film est une oeuvre riche et complexe, comparable dans sa forme à l'équivalent cinématographique du Nouveau Roman. Voyageant à l'intérieur de sa tête et de son coeur, Cavalier surprend, prend le risque de créer malaise et ennui, mais livre bel et bien une oeuvre cinématographique forte, tant par l'originalité de sa forme que la sincérité de son ton.

 

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3 janvier 2010 7 03 /01 /janvier /2010 18:00

Cette année, le club ciné du Lycée Mariette s’intéresse à l’utopie, thème des quatrièmes Rencontres de la critique et de la culture (www.bdsaintebeuve.fr). Le club a failli se déplacer pour aller voir le film à l’Alhambra se disant, peut-être à tort, qu’un film comportant Woodstock dans son titre pouvait nous inciter à réfléchir sur les idéaux de la fin des années 60. Hélas, trop tard … il y a parfois, comme ça, des rendez-vous manqués. Mais dans le monde merveilleux du cinéma rien ne se perd et, grâce à Thaïs, les Routes de la critique retrouvent la trace d’Ang Lee et proposent de lancer le débat.


 

Ang Lee dirige Emile Hirsch (héros de Milk de GVS et Into The Wild de Sean Penn) dans Taking Woodstock en  compétition officielle à Cannes cette année.


Taking Woodstock de Ang Lee (2009)

 

 

Ang Lee est un cinéaste qui crée toujours l'évènement. Comptant dans sa filmographie des films aussi différents que Ice Storm, Tigre et Dragon, Le Secret de Brokeback Moutain, Hulk et Lust, Caution, il ne manque pas non plus de créer la surprise. C'est ainsi qu'en le voyant s'attaquer au mythe "Woodstock", le microcosme cannois ne pouvait rester indifférent. Et voilà la dernière folie de Ang Lee qui s'invitait, quoi que fort peu à propos, dans la sélection officielle. Fort peu à propos, en effet, parce qu'il est évident que Taking Woodstock faisait figure d'hurluberlu au milieu des Prophètes et autres Rubans Blancs.

Mais quelque part, son extraordinaire décalage avec la majorité de la production cinématographique actuelle (et cannoise en premier lieu) participe sans doute du charme rafraîchissant de ce divertissement loin d'être bête. Rien à voir avec un grand film, non, mais tout de même un projet et un résultat qui mérite que l'on s'y arrête. Si bien sûr, on n'est pas effrayé par les bons sentiments, les homosexuels, les juifs et les hippies - auquel cas il sera préférable que l'on passe son chemin, mais tout ceci serait follement dommage.

Taking Woodstock, donc, raconte finalement plus l'histoire d'une petite famille des Catskills à un moment charnière de son existence (le fils, lessivé d'être trop gentil avec ses parents, gérants d'un motel délabré, compte abandonner son White Lake pour s'installer définitivement comme décorateur d'intérieur à Greenwich Village) que celle du mythique concert. Décidé à faire un dernier geste pour ses parents, Eliott, le fils trop gentil, décide donc de reprendre pour le compte de son village un festival de musique renié par la ville voisine, histoire de renflouer les caisses White Lakiennes. L'évènement prendra naturellement les proportions qu'on lui connaît, et l'existence familiale en sera assez logiquement bouleversée. Mais si ce n'est pas le suspense qui étouffe Taking Woodstock, le film n'en reste pas moins intéressant.

On s'attendrait, avec un tel sujet, à deux heures non-stop de Joplin, Who, Canned Heat et autres Hendrix plein pot, et pourtant non. Refusant de céder à la facilité, Lee néglige totalement le concert pour s'intéresser au public. La musique devient diffuse et étouffée, presque comme une partie du décor. Ce que le réalisateur veut ici retenir de Woodstock, c'est qu'avant d'être "3 days of music", c'étaient bel et bien "3 days of peace". Et c'est bien ça qui l'intéresse. Filmer une scène, tout le monde peut le faire. Et que sur celle-ci se dresse Santana, Joey Star ou Vanessa Paradis, il se trouvera toujours quelqu'un pour s'y coller. Rendre hommage au public, aux organisateurs, aux agents de sécurité, aux grandes ou aux petites mains qui y vont sang et eau pour que tout ça devienne mythique, telle est la mission que se donne le réalisateur. Et la musique n'a finalement que peu à voir avec tout ça.

Lee est de ces cinéastes dont le talent derrière une caméra n'est plus à prouver. Aussi se permet-il de voir grand. Filmant plus ces foules comme un DeMille que comme un Peter Jackson, il s'amuse à en explorer chaque recoin, chaque individualité, faisant parfois ressortir une star, fondue dans la masse, totalement égale à chaque humain autour d'elle (on pense par exemple à Paul Dano, bien plus détendu ici que dans Little Miss Sunshine ou There Will Be Blood !). Personne n'est identique à son voisin, personne ne se ressemble et tout le monde est égal. Et comme pour souligner son message, il va parfois jusqu'à scinder l'écran en cases, ingénieux procédé quoi que fatigant pour les yeux à la longue, pour que personne, dans la salle, ne voit exactement le même film.

Mais si personne ne voit le même film, tout le monde voit les mêmes acteurs. Demetri Martin, Imelda Stauton, Liev Shreiber, et un Emile Hirsch des grands jours, entre autres, crèvent l'écran, délicieusement caricaturaux et pourtant plus vrais que nature. L'intégralité du casting s'amuse d'être un personnage à part entière de ce cliché psychédélique de deux heures, qui campe une époque trop mythique pour pouvoir être racontée de façon objective et réaliste. Reste le trip, dans les deux sens du terme, qui porte le film comme un délicieux hymne à l'Autre, l'Amour, l'Amitié, (l'Amérique,) et tous ces mots qui commencent par un grand A, et qu'il fait bon de rappeler de temps à autres.

 

Thaïs

 

 

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3 janvier 2010 7 03 /01 /janvier /2010 00:32


Un "top five" et un ... On a aussi le droit.
Et pour cela préfèr(ant) l’impair, Mademoiselle Flamand nous offre une sélection très resserrée qui met à l’honneur la Palme d’Or cannoise de cette année et quelques autres grands moments du festival.
 Comme quoi, le cru n'était pas si mauvais ...


1 : Le Ruban blanc de Mickael Haneke.

2 : Inglorious basterds de Quentin Tarantino.

3 : Independencia de Raya Martin.

4 : Un Prophète de Jacques Audiard.

5 : Gran Torino de Clint Eastwood.


Le Ruban blanc
Le Ruban Blanc, sans nul doute, un très grand film de l'année récompensé à Cannes et aux European film awards en attendant  les Césars et les Oscars pour lesquels le film est sélectionné. Les paris sont lancés ! Le dernier long métrage de Michael Haneke a été chroniqué par le Club ciné du Lycée Mariette à sa sortie en salles (Ni tout à fait blanc, ni tout à fait noir : l'être humain vu par Haneke ).

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1 janvier 2010 5 01 /01 /janvier /2010 15:00

Eh bien oui, tous les internautes, amoureux de cinéma, lecteurs réguliers ou occasionnels de notre blog, sont appelés à proposer leur « top ten » des films de l’année 2009.

C’est le cas de Philippe (de Limoges, alias le fantôme du Lido) qui nous propose une sélection, très éclectique, de quelques films qui ont marqué son année cinéma.

 

 

01. Les Etreintes Brisées de Pedro Almodovar.

02. Un Prophète de Jacques Audiard.

03. Le Ruban Blanc de Michael Haneke.

04. Milk de Gus Van Sant.

05. (ex-aequo) La Fille du R.E.R. d’André Téchiné et Vincere de Marco Bellochio.

06. L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot, documentaire de Serge Bromberg.

07. District 9 de Neill Blomkamp.

08. Les Beaux Gosses de Riad Sattouf.

09. Les Noces Rebelles de Sam Mendes.

10. Away We Go de Sam Mendes.


Les Etreintes brisées

Penelope Cruz à l'affiche des Etreintes Brisées, le dernier long de Pedro Almodovar.
A elle seule, la réincarnation de quelques grands mythes hollywoodiens ...
Le film a été chroniqué sur ce blog (Les Etreintes brisées : tout sur Pedro ? )

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31 décembre 2009 4 31 /12 /décembre /2009 17:52

Alors, nous y voilà : un an s’est écoulé et, à quelques jours près, notre blog fête son premier anniversaire. Une année qui se termine, c’est l’invitation aux bilans en tous genres : amicaux, amoureux, professionnels mais aussi culturels. Sur le blog des Routes de la critique, on ne pouvait pas passer à côté du traditionnel classement des coups de cœur cinéma de l’année. C’est Monsieur Popu qui s’y colle en premier avec un « top ten » très français, histoire de rappeler que notre cinéma se porte bien : les Anciens sont toujours verts (Resnais, Chabrol, Téchiné) et les jeunes pousses très prometteuses, offrant, de films en films, un cinéma riche et singulier. Pourvu que ça dure …

        2009 est morte ; vive 2010 ! L’actu ciné s’annonce chargée dès ce début d’année : le festival Télérama dans toutes les bonnes salles et, à l’Alhambra de Calais, un festival du film allemand à partir du 13 janvier (http://cinema-alhambra.org). De quoi voir et revoir quelques bons films et d’énormes classiques.

  

Top ten des films de l’année 2009 :

 

01. (ex-aequo) Nulle part, Terre promise d’Emmanuel Finkiel et Les Herbes Folles d’Alain Resnais.

02. Tokyo Sonata de Kiyoshi Kurosawa.

03. Vincere de Marco Bellochio.

04. Un Prophète de Jacques Audiard.

05. Les Etreintes Brisées de Pedro Almodovar.

06. Le Ruban Blanc de Michael Haneke.

07. Bellamy de Claude Chabrol.

08. La Fille du R.E.R. d’André Téchiné.

09. Le Père de mes enfants de Mia Hansen-Løve.

10. Les Beaux Gosses de Riad Sattouf.

Nulle part, terre promise




Dans ce troisième long métrage, Emmanuel Finkiel, après Voyages et Casting, poursuit sa réflexion sur le profond isolement des êtres humains. Le film a obtenu le prix Jean Vigo cette année et a été chroniqué sur ce blogSi proche, si loin … l'espace européen vu par Emmanuel Finkiel)

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30 décembre 2009 3 30 /12 /décembre /2009 13:59

Attendu comme le Messie après un Homme sans âge que certains spectateurs avaient trouvé peu convaincant voire insupportable, le nouveau film de Francis Ford Coppola, un des maîtres du « Nouvel Hollywood », était présenté à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs et se trouve sur les écrans depuis mercredi dernier. A la question de savoir si Coppola a retrouvé son éclat d’antan, Thaïs nous apporte quelques éléments de réponse. Forcément, ça intéresse les cinéphiles et donc les Routes de la Critique …


Vincent Gallo dans Tetro
Vincent Gallo, acteur culte et réalisateur, dans le dernier film de Francis Ford Coppola. 
Il est aussi musicien (il a réalisé deux beaux albums sortis sur le label Warp).


 

TETRO de Francis Ford Coppola (2009).

 

        Après cinq Oscars, deux Palmes d'Or, une poignée de films légendaires et une descendance reprenant plus que brillamment le flambeau paternel, nul doute que Francis Ford Coppola a de quoi être un homme comblé. Seulement voilà, le "réalisateur visionnaire", selon l'expression consacrée, d'Apocalypse Now et la trilogie du Parrain est un insatisfait, un frustré de l'expression qui s'est senti bridé sur tous ses projets. Alors maintenant qu'il en a les moyens et le pouvoir, Coppola père enfile toutes les casquettes, de la production à la réalisation en passant par le scénario, pour créer, selon ses propres termes, un "personnal film" qui serait très précisément ce qu'il a voulu qu'il soit.

        Le "personnal film" en question, succédant à un Homme sans âge laissant sur leur faim les fans chevronnés, s'appelle Tetro. Derrière ce nom intrigant se cache Angelo Tetroccini, qui a quitté son foyer et abandonné son jeune frère pour s'enfuir en Argentine et terminer l'écriture de la pièce de théâtre qui l'obsède. Mais voilà que Benjamin, le jeune frère susnommé, embarque à l'aube de ses dix-huit ans sur un paquebot en partance pour Buenos Aires histoire d'obtenir de son aîné quelques explications.

Pour Coppola, le "personnal film" n'est vraiment personnel que s'il parle de famille. Le voici donc qui, à partir d'un scénario avorté (ne comportant que la description des deux premiers plans) rédigé au début des années 70, imagine un drame familial autour de la frustration et la rivalité. Mais si l'idée de base -quoi qu'assez peu originale- est intéressante, l'histoire se perd dans un labyrinthe de retournements de situations et de faux-semblants abracadabrants jusqu'à un twist final des plus maladroits et surfaits.

Mais si ce pitch faiblard a une qualité indéniable, il est clair que c'est celle d'offrir au trop rare Vincent Gallo un rôle à sa mesure. Tout en frustration et en écorchures, il donne à ce Tetro une chair, une vraie, qui soutient réellement tout le film. Celui-ci est encadré d'une brochette de seconds rôles convaincants (Maribel Verdu et l'ancienne muse d'Almodovar Carmen Maura en tête) ; mais tous peinent, malgré leur crédibilité, à faire supporter au spectateur les invraisemblances du scénario.

Toutefois, si ses qualités ont tendance à s'effacer derrière quelques imposants défauts, il n'en reste pas moins dans ce Tetro, Coppola fait montre d'un talent de réalisateur, pleinement épanoui et fidèle à ce qui faisait sa "patte" dans ses précédents films. En effet, autour d'une narration qui s'étire en longueur et d'un rythme assez lent, il tisse une toile raffinée, dans un noir et blanc élégant et soigné ponctué de flash-backs en couleurs, et parsemée de plans à la composition et la lumière magistrales (la reconstitution de l'accident dans la pièce de théâtre est un moment d'anthologie). Un film à l'esthétique visuelle très poussée, donc, mais qui pêche par une intrigue à la fois trop mièvre et trop peu crédible.

 

Thaïs

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18 décembre 2009 5 18 /12 /décembre /2009 17:40

Nouveau solstice, nouvelle saison. Echarpes et pulls cols roulés, moufles et mitaines sont ressorties des armoires. Et pour accompagner ces quelques mois d’hiver, avec ou sans neige (là, en ce moment, c’est plutôt avec !), une nouvelle sélection de films à apprécier avant, pendant, après ou entre les deux réveillons !

A consommer sans modération, à peu près autant que le champagne !!!

Bonnes fêtes à tous.

 

1. Le Père Noël est une ordure de Jean-Marie Poiré (1982)

2. Un cœur en hiver de Claude Sautet (1992)

3. Conte d’hiver d’Eric Rohmer (1992)

4. L’étrange Noël de Monsieur Jack de Tim Burton et Henry Selick (1993)

5. Y’aura-t-il de la neige pour Noël ? de Sandrine Veysset (1996)

6. The Ice Storm d’Ang Lee (1997)

7. La classe de neige de Claude Miller (1998)

8. XMas d’Abel Ferrara (2001)

9. Cœurs d’Alain Resnais (2006)

10. Un conte de Noël d’Arnaud Desplechin (2007)

 

 

Les Routes de la critique

 

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