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30 septembre 2009 3 30 /09 /septembre /2009 16:41

Le film avait fait beaucoup parlé de lui à Cannes, comme il est de coutume pour chaque film du réalisateur des mythiques Reservoir Dogs, Pulp Fiction et Jackie Brown. Au palmarès, un des acteurs était reparti avec le prix d’interprétation masculine. Jessy, qui a eu du mal à quitter le club ciné après trois années de participation, nous livre ses impressions sur le dernier long métrage de Quentin Tarantino.

 

 

Inglourious Basterds de Quentin Tarantino (2009)

 

En 1941, Shoshanna Dreyfus, jeune juive, voit sa famille exécutée par le « chasseur de juifs », le colonel nazi Hans Landa. Seule survivante de ce massacre, la jeune fille s’enfuit à Paris et change d’identité pour devenir exploitante d’une salle de cinéma. Ailleurs en Europe, un groupe de soldats juifs, dirigé par le lieutenant Aldo Raine, se forme sous le nom de « Basterds ». Un nom qui, très rapidement, fait trembler les soldats nazis par les actions sanglantes et barbares que le groupe entreprend. À eux se joint l’actrice allemande, Bridget Von Hammersmark qui souhaite voir tomber les hauts dirigeants du Troisième Reich. Bien que chacun emprunte une route différente, leurs chemins se croisent dans la salle de cinéma de la jeune juive, toujours animée par un puissant désir de vengeance.

Ce long-métrage de Quentin Tarantino a été présenté, en 2009, au festival de Cannes. Certaines scènes ont été ajoutées depuis Cannes, même s’il est plutôt d’usage d’en soustraire après la première présentation du film. Inglourious Basterds réunit une grande diversité de nationalités : Mélanie Laurent (Shoshanna Dreyfus) est une actrice française, Brad Pitt (lieutenant Aldo Raine) est américain et Christoph Waltz est autrichien. Ce dernier a même remporté le Prix d'interprétation masculine de Cannes !

« Il faut de bons acteurs pour réaliser un bon film ! » affirme Tarantino et il y parvient avec succès. Le jeu des acteurs est tout simplement magnifique : ils rendent justice aux personnages hauts-en-couleurs qu’ils incarnent. C’est en partie grâce au jeu des acteurs que Tarantino a pu aborder avec brio l’une des époques les plus sombres de notre Histoire.

Il suffit de quelques minutes de film pour entrer dans l’univers à la fois sombre et décalé du réalisateur. Inglourious Basterds multiplie des scènes effroyables de tortures et de massacres avec une musique frivole. Ce décalage déstabilise le spectateur, choqué et amusé lors d’une même scène, si bien qu’il en oublie tout message moralisateur.

Les nazis, eux, sont montrés sous leur jour le plus sadique, vicieux et machiavélique. Le colonel nazi Hans Landa regroupe à lui seul ces trois critères. Il possède d’ailleurs les attraits dangereux d’un chasseur implacable mais suscite en même temps une sympathie (certes glaciale !) grâce un visage presque angélique et une douceur déconcertante. Inglourious Basterds n’est pas comme la plupart des films traitant le thème de la Seconde Guerre mondiale. Dans ce film, il y a une certaine forme de vengeance – un des thèmes récurrents du cinéma de Tarantino - on tue et on torture beaucoup plus de nazis que de Juifs.

Inglourious Basterds est un conte cruel qui, dès les premières minutes, nous montre à quoi nous devons nous attendre. Plein de suspens, d’humour noir et si trépidant qu’on ne détache le regard qu’au mot fin, soufflé d’admiration.

 

Jessy Ritz

 

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14 septembre 2009 1 14 /09 /septembre /2009 21:59

Feu de paille ou bien vrai talent de cinéaste … le Festival de Cannes n’est pas avare de coups de poker savamment orchestrés ! J’ai tué ma mère est un premier film intriguant, sorti en juillet, mais actuellement programmé à l’Alhambra de Calais. C’est la rentrée du cinéma, alors …

 

 

 

 

J’ai tué ma mère de Xavier Dolan (2009).

 

 

        En 1959, François Truffaut, jusqu’alors critique aux Cahiers du cinéma, présentait à Cannes son premier long métrage Les 400 coups. En 2009, alors que l’on fêtait les cinquante ans de la Nouvelle Vague, un jeune cinéaste canadien (québécois plus précisément) de 20 ans, était sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs avec son premier long qui raconte, sur le mode du journal intime (1), les relations tumultueuses entre Hubert, adolescent de 16 ans et sa mère Chantale. Elle l’élève seule depuis le départ du père (le fils avait alors sept ans). Quel lien entre les deux films et les deux réalisateurs, me direz-vous ?

        Le jeune réalisateur découvert à Cannes cette année, décide de questionner la nature des liens qui unissent un fils à sa mère. Les figures de la mère au cinéma sont nombreuses (2) et Truffaut, de son côté, avait choisi de traiter l’absence de tendresse voire d’amour chez une mère et d’en montrer les conséquences dans la vie d’un pré-adolescent. Xavier Dolan reprend ce thème mais en l’approfondissant (3). Et de se demander de quoi est fait le sentiment filial ? Est-il obligatoire pour un enfant d’aimer sa mère ou son père ? La relation est-elle viable quand elle oscille entre amour-fusion et haine-passion ? Ces questions sont posées selon un traitement qui n’est pas sans rappeler le « ni avec toi, ni sans toi », expression utilisée par Madame Jouve pour caractériser la relation de Mathilde et de Bernard dans La Femme d’à côté de François Truffaut. Mais contrairement à ce film, la mise en scène de Xavier Dolan met l’accent sur une perception subjective des faits : diariste de cette relation, Hubert/Xavier privilégie le film dans le film (scènes de confession filmées en noir et blanc), des gros plans pour dire le dégoût que lui inspire une mère qui lui fait honte, les ralentis fréquents auxquels s’opposent de brusques accélérations du temps, plus ponctuelles, mais aussi les échappées imaginaires du héros insérées dans une scène de la vie quotidienne. C’est donc un cinéma de la sensation subjective qui est privilégié, un cinéma qui n’hésite pas aussi à multiplier les supports, technique d’inspiration vansantienne (utilisation du super 8 par exemple).

Mais ce ne sont pas les seules questions posées par le film : n’y a-t-il pas des filiations plus importantes, pour un artiste en formation, pour un individu en construction, que celle du sang ? De ce point de vue, le film propose une virée dans le musée imaginaire de ce jeune réalisateur. De la même manière que Doisnel/Truffaut rendait hommage à Balzac dans Les 400 coups, Xavier Dolan fait référence à différents artistes : des cinéastes d’abord (Truffaut donc, mais aussi Wong Kar-waï, Gus Van Sant), des peintres (Jackson Pollock). Les photos d’acteurs iconiques tels que James Dean ou River Phoenix renvoient à des images de fils tourmentés par la quête de leur mère, l’un dans A l’Est d’Eden d’Elia Kazan, l’autre dans My Own Private Idaho. Leur statut d’icônes gays achève de baliser l’univers du héros, jeune homosexuel vivant une histoire d’amour avec un camarade de classe.

        Au-delà du jeu des références, l’une des grandes qualités du film est sa liberté de ton et d’utilisation de la caméra : le cinéma de Xavier Dolan ne prétend pas à l’originalité mais plus sûrement à chercher les accents de la sincérité. Cette quête ne permet pas toujours de réaliser des chefs d’œuvre mais autorise d’« exquises esquisses » qui donnent envie de connaître la suite …

 

 

NOTES :

(1) Caméra numérique au point, Hubert/Xavier enregistre ses confessions rappelant ainsi le dispositif autofictionnel mis en place par Jonathan Caouette dans Tarnation, film présenté à la Quinzaine en 2004.

(2) Les Inrocks dans leur numéro 711 (juillet 2009) rappellent quelques unes des figures marquantes de mères au cinéma (Hitchcock, Visconti, Malle, Sokourov, Almodovar ou Honoré). On pourrait rajouter Madame Venable dans Soudain, l’été dernier de Joseph Mankiewicz ou encore Catherine de Médicis dans La Reine Margot de Chéreau, portrait d’une Médée de la Renaissance, prête à sacrifier ses enfants aux jeux du pouvoir.
(3) Les péripéties de l’intrigue font sans cesse écho à Antoine Doisnel, adolescent rebelle auquel s’identifie un peu Hubert : mentir effrontément et prétendre que sa mère est morte, fuguer, finir par être placé en pensionnat nous renvoient à quelques hauts faits de l’élève Doisnel.


                                                                                                Eric POPU

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6 septembre 2009 7 06 /09 /septembre /2009 13:08

Et voilà, c’est déjà la rentrée. « Sur la plage abandonnée… », on a laissé nos souvenirs de vacances puis on a repris le chemin du travail. Pour accompagner ces quelques mois, pas toujours pluvieux d’ailleurs, qui nous séparent de l’hiver, voici quelques suggestions de films : il y a en a pour tous les goûts (fresque épique, drame intimiste, comédie romantique …) ;il y a du bon, voire de l’excellent, du moins bon voire … pire que ça !!! La petite curiosité de la liste étant le film de Joan Chen (son deuxième long métrage en fait), actrice chez Bertolucci, Ang Lee, David Lynch (la vénéneuse Josie Packard dans Twin Peaks, c’est elle !) et plus récemment, chez Jia Zhang-Ke.

Alors, sortez le plaid, préparez-vous un thé, une tisane ou un chocolat chaud et dégustez cette nouvelle sélection concoctée par l’équipe des Routes de la critique.

 

 

1. Octobre de Serguei Eisenstein (1927)

2. Fin d’automne de Yasujiro Ozu (1960)

3. Sonate d’automne d’Ingmar Bergman (1978)

4. Almanach d’automne de Bela Tarr (1984)

5. September de Woody Allen (1987)

6. Légende d’automne d’Edward Zwick (1995)

7. Conte d’automne d’Eric Rohmer (1998)

8. Fin août, début septembre d’Olivier Assayas (1999)

9. Un automne à New-York de Joan Chen (2000)

10. Jardins en automne d’Otar Iosseliani (2006)

 

 

Eric POPU

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15 août 2009 6 15 /08 /août /2009 13:35

Avec Pas de printemps pour Marnie (1964), s’est achevée hier la rétrospective Hitchcock dans la cour du château d’Hardelot. Et pour prolonger le plaisir d’avoir revu pour certains, d’avoir découvert pour d’autres, quelques uns des chefs d’œuvre du maître, on ne résiste pas au plaisir de vous délivrer quelques aphorismes et bons mots de celui dont David O. Selznick (1) disait qu’il n’était « Pas un mauvais bougre … mais pas exactement le genre de type avec qui on irait faire du camping ». Savourez …

 

 

 

Sur le suspens :

« Si vous voyez un homme avec un gourdin arriver derrière un innocent, vous en savez plus que l’innocent, et ça crée un suspens ».

 

« Le mystère intrigue, c’est un phénomène intellectuel. Le suspens est quelque chose d’émotionnel ».

 

Sur le cinéma et ses films :

« Le cinéma n’est pas une tranche de vie, mais c’est une part de gâteau ».

 

« L’auto-plagiat, c’est le style ».

 

« La durée d’un film doit être directement liée à l’endurance de la vessie humaine ».

 

Sur les personnages :

« … tous les méchants ne pas noirs et tous les héros ne sont pas blancs. Il y a du gris partout ».

 

Sur lui-même :

« Je suppose qu’un homme qui appelle son chien Phillip of Magnesia comme je l’ai fait, est quelqu’un de difficile à vivre ».

 

« Beaucoup de gens pensent que je suis un monstre – c’est vrai, on me l’a dit ! ».

 

 

NOTE :

(1) David O. Selznick (1902-1965) fut directeur de production pour de nombreux grands studios hollywoodiens à l’époque de leur âge d’or, principalement la MGM mais aussi la Paramount ou RKO. A ce titre, il produisit quelques longs métrages d’Hitchcock dont Rebecca (1940), La Maison du Docteur Edwardes (1945) ou encore Le procès Paradine (1947).

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5 août 2009 3 05 /08 /août /2009 11:41

Premier long métrage (après deux courts) du réalisateur/scénariste Nassim Amouache, Adieu Gary a été présenté cette année à Cannes à la Semaine de la critique où il obtenu un Grand prix. La naissance d’un cinéaste ?



Adieu Gary de Nassim Amouache (2009)

         
 
         On pourrait ne rien dire. On pourrait ne pas y faire allusion. Oui, on pourrait … mais voilà, Adieu Gary est sorti quelques jours après le décès de l’un de ses interprètes principaux, Yasmine Belmadi (1). Non que l’on puisse trouver le film meilleur –ce qui serait franchement stupide- mais cette absence se superpose à celle qui est annoncée par le titre et renforce l’impression de mélancolie qui se dégage de l’ensemble du film.

          Une cité ouvrière non localisée (2), sorte de no man’s land proche de la zone industrielle décrite dans Dernier Maquis (3)… Certains de ses habitants, au chômage depuis la fermeture de l’usine toute proche, ont décidé de rester. C’est le cas de Francis (joué par Jean-Pierre Bacri). Il est veuf et père de deux fils : Samir (qui vient de sortir de prison) et Icham. Il a une liaison plus ou moins officielle avec Maria (Dominique Reymond) qui élève seule son fils José.

          La mélancolie qui enveloppe Adieu Gary est entretenue par les choix formels du réalisateur à commencer par les références faites au western (comme le faisait en son temps, Rabah Ameur-Zaïmeche dans Bled Number One). Ces références passent d’abord par une topographie archétypale : l’artère principale de la cité, balayée par le vent, ressemble à s’y méprendre à celle d’une bourgade du Far-West, une voie ferrée abandonnée se situe à proximité de la cité ... Est aussi convoquée la figure du héros westernien, figure le plus souvent fantasmée, mais qui, on le sait, a participé à l’élaboration des mythes dont a eu besoin l’Amérique pour se construire. Dans Adieu Gary, c’est un jeune adolescent qui passe le plus clair de son temps entre l’attente d’un père qui a quitté le foyer depuis quelques années déjà et le visionnage intensif de films avec Gary Cooper, envisagé comme père de substitution (4). Enfin, le personnage de Samir (Yasmine Belmadi) n’est pas sans rappeler ces héros en quête de rédemption après avoir commis des choses peu recommandables. Oublier un passé difficile, démarrer une nouvelle vie, c’est ce qu’a projeté de faire Samir et c’est ce qu’ont fait ou essayé de faire avant lui bon nombre de héros de western.

          La collision entre deux mondes (Ouest américain et une cité ouvrière située en France), entre deux époques et entre deux genres (le western et le drame réaliste) sur laquelle repose le film fait mouche et fait sens. Elle permet aussi la stylisation d’ensemble du film, stylisation parfaitement assumée, semble-t-il, par le réalisateur.

          Comme dans certains westerns, c’est la puissance expressive du paysage qui en dit long sur la situation morale et/ou socio-économique des personnages : Nassim Amouache filme les lieux d’habitation fermés, la reconquête de la végétation , les tunnels empruntés par telle ou telle personne, la voie ferrée dont on ne sait pas très bien où elle conduit, une usine désaffectée et il en fait l’allégorie d’un entre-deux, la fin d’une époque (celle de l’âge industriel) et le début d’une autre, sans qu’on sache vraiment ce qu’elle est. Néanmoins, quelques indices nous sont donnés sur la manière dont les hommes peuvent gérer cet entre-deux : certains, comme Nejma (5), décident de partir comme d’autres l’ont fait avant elle, certains vivent de menus trafics, quelques uns comme Icham bossent au supermarché du coin. Autre indice : le local syndical est débarrassé et réinvesti comme lieu de prières.

         Comme de nombreux cinéastes de sa génération, le réalisateur interroge aussi la transmission filiale quand le père existe (on a déjà évoqué la possibilité de son absence) et de la transmission tout court. Là encore, le réalisateur reprend à son compte une des thématiques de Bled Number One : quelle identité se forger, que garder des « Anciens », quelle place occuper quand, comme Icham et Samir, on est issu d’un mariage mixte et partagé entre deux cultures ? Icham, de son côté, apprend l’arabe et projette aussi d'aller au Maroc (pays dont est originaire sa mère décédée).

         Parfaitement ancré dans les thématiques de son époque mais évitant les pièges du film social grâce à des partis pris assumés, Adieu Gary révèle un cinéaste … On attend la suite avec impatience …


NOTES :

(1) Né en 1976 à Aubervilliers, Yasmine Belmadi avait commencé sa carrière dans Les corps ouverts de Sébastien Lifschitz (1997) puis avait tourné avec François Ozon (Les Amants criminels), Laetitia Masson ou Gilles Marchand (Qui a tué Bambi ?).

(2) Une grande partie du tournage s’est déroulée dans la Cité Blanche en Ardèche, cité ouvrière construite par le groupe Lafarge au début du 20ème siècle. Selon les propos de Nassim Amaouche, le lieu lui a permis « de naviguer entre une certaine réalité documentaire et des échappées fictionnelles qui [lui] tenaient à cœur ».

(3) Film de Rabah Ameur-Zaïmeche chroniqué sur ce blog.

(4) Notamment L’Homme de l’Ouest d’Anthony Mann (1958). Réalisateur américain (1906-1967) connu surtout pour ses nombreux westerns tournés avec James Stewart. Avec Ford, Walsh et Hawks, il est un des grands maîtres du genre même si, comme ses collègues, il n’a pas seulement tourné des westerns. Au cours de sa très longue carrière, Gary Cooper a incarné, dans de nombreux films, le héros viril, solide, volontiers silencieux ou taciturne.

(5) Rôle joué par Sabrina Ouazini, révélée par Abdellatif Kechiche dans L’Esquive et La Graine et le mulet.

 

Eric POPU

 

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29 juillet 2009 3 29 /07 /juillet /2009 12:10

Puisqu’on a critiqué récemment Scanners de David Cronenberg, restons dans la sphère du film de genre en nous intéressant à Kaïro, film du réalisateur japonais, Kiyoshi Kurosawa. Il avait été présenté en son temps (2001 plus précisément) à Cannes, dans la section Un certain regard.

 

 

Kaïro de Kiyoshi Kurosawa (2001)

 

 

On le sait, le film de genre est souvent un bon moyen pour les cinéastes d’analyser le fonctionnement d’une société, d’en révéler les failles, d’en souligner les crises morales ou de pointer du doigt ses traumatismes, sans pour autant recourir au pensum trop démonstratif. En son temps, Romero, grâce aux films de zombies, l’a aussi fait pour la société américaine. De l’autre côté du Pacifique et à quelques décennies de distance, Kiyoshi Kurosawa, en choisissant le film de fantômes (1), se propose de montrer quelques aspects du malaise que traverse la société japonaise depuis les années 90 (2).

         Dans un Tokyo de fin du monde, une étrange épidémie poussant de jeunes gens au suicide se propage, sans que rien ne puisse vraiment l’arrêter. Les ordinateurs (3), par lequel des fantômes entrent en contact avec les vivants, semblent jouer un rôle déterminant. Servi par une puissance formelle et une mise en scène rigoureuse, le film décline tout au long de l’intrigue l’idée de frontière.

         La première frontière posée par le film est celle qui existe entre la terre et la mer (séquences d’ouverture et de fin du film) : cette thématique entre en résonnance directe avec l’histoire du Japon qui, pendant longtemps (de la fin du XXème siècle jusqu’à la fin de la 2nde Guerre mondiale), a souhaité faire exploser le carcan un peu trop contraignant (exiguïté, insuffisance des ressources naturelles entre autres contraintes) de l’archipel par la conquête et l’occupation (le plus souvent violente et sanguinaire) de territoires étrangers. A noter qu’au au début du siècle dernier, de nombreux japonais ont émigré de l’autre côté du Pacifique notamment en Amérique du Sud, et plus précisément au Brésil (4). L’histoire a prouvé que cet appel du large était loin de constituer une réponse aux problèmes de la population japonaise. Et le réalisateur lui-même de laisser planer le doute sur l’avenir de ses personnages. On notera par ailleurs que la mer joue aussi un rôle très important dans Tokyo Sonata, dernier long métrage de Kiyoshi Kurosawa.

         Toute aussi tangible est la frontière qui sépare les vivants : en effet, les personnages de Kaïro sont marqués par une très grande solitude et une incapacité quasi pathologique à vraiment communiquer en dépit (ou à cause ?) de moyens de communication très sophistiqués. La première scène dans le laboratoire/serre où travaillent quelques uns des héros du film est, à cet égard, très révélatrice : la position des personnages dans l’espace, l’emploi systématique du surcadrage grâce aux éléments du décor (vitres, portes et fenêtres du labo), l’usage des plans larges par le réalisateur renforcent cette impression dès le début du film. Souvent, le réalisateur filme des pièces closes à l’intérieur desquelles la caméra ne laisse deviner aucune ouverture sur l’extérieur. L’univers urbain décrit dans le film est marqué du sceau de la désolation (friches industrielles, usines désaffectées), du vide et de l’abandon. Montrée par Kurosawa comme une espèce de no man’s land pré ou post-apocalyptique, la métropole renforce « l’expression esthétique de l’angoisse de l’évaporation de l’altérité et du lien social » (5). Implicitement, ce thème renvoie à une réalité de la société japonaise, le phénomène des « hikikomori », personnes qui se coupent de toutes relations sociales et restent enfermées chez elles (6). Le film se fait ainsi l’écho de la déréliction dans laquelle est plongée une nouvelle génération de Japonais.

Du coup, la frontière entre les vivants et les morts est beaucoup plus ténue et poreuse qu’il n’y paraît : alors que les vivants paraissent morts (corps inertes, bras ballants, pas hésitants, regards hagards, apathie généralisée, expressivité proche de zéro), les fantômes, quant à eux, paraissent bien vivants émergeant du flou dans lequel le réalisateur les a contenus pour se matérialiser grâce au rattrapage de point que le réalisateur utilise dans de nombreux plans (7). Et plus le film avance, plus les fantômes s’humanisent notamment dans cette zone intermédiaire matérialisée par du ruban adhésif rouge (voir la scène où Kawashima rencontre un fantôme). Ils appellent les vivants, touchés par l’épidémie de suicide, et l’un d’entre eux a pour fonction de démentir la fascination qu’exerce la mort sur certains personnages du film : n’affirme t-il pas que « la mort est un isolement éternel » ? Là encore, Kurosawa se fait l’écho d’un des maux qui touche la société japonaise : l’augmentation du nombre de suicides dans un pays qui, faut-il le rappeler, ne l’appréhende pas de la même manière que l’Occident (8). En tout état de cause, au cours des années 90, se sont développés sur le net des « clubs » de suicide proposant au internautes des moyens de se suicider : une scène du film (celle d’Harue devant son ordinateur) fait clairement référence à cette actualité. De nombreuses affaires de suicides, collectifs pour certains, préparés sur le net se sont multipliées dans l’archipel, secouant profondément l’opinion publique.

         Film exigeant et connecté à l’état de la société japonaise, Kaïro constitue une des vraies réussites d’un réalisateur passionnant à suivre. Et avec Tokyo Sonata, sorti en 2009, Kiyoshi Kurasawa prouve qu’il a encore des choses à dire sur l’état de la société japonaise.

 

 

NOTES :

(1) Le film de fantômes (yurei eiga) est une catégorie du film fantastique japonais. Assez récurrent dans la production cinématographique japonaise, son origine remonte à la fin des années 50. Plus récemment, Hideo Nakata (The Ring, Dark water), Shinya Tsukamoto (Gemini) et Kiyoshi Kurosawa ont contribué à renouveler le genre.

(2) A cet égard, on pourra se reporter au numéro 105 de Manière de voir consacré au Japon méconnu, se révélant riche d’informations sur un pays en mutation profonde depuis deux décennies.

(3) Kaïro signifie circuit.

(4) Au début des début des années 90, les « nikkeijin », descendants d’émigrés japonais, sont incités par l’Etat à revenir pour pallier le manque de main d’œuvre et le vieillissement de la population.

(5) Benjamin Thomas dans le dernier numéro de Positif (n°581-582) analyse la manière dont est traitée la principale métropole du pays dans le cinéma japonais contemporain : une partie de sa réflexion est consacrée à la place de Tokyo dans Kaïro.

(6) Thématique abordée plus récemment dans le film Tokyo ! sorti en 2008 (segment réalisé par Bong Joon-ho).

(7) Le rattrapage de point consiste à changer la mise au point de l’image au cours d’un plan, rendant net ce qui était flou et inversement.

(8) Au Japon, le suicide est, pour aller vite, culturellement admis : il est la marque d’un sacrifice honorable afin de prouver sa fidélité, son amour, afin d’expier une ou plusieurs fautes face à un échec.

 

 

Françoise FAUVEL et Eric POPU

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27 juillet 2009 1 27 /07 /juillet /2009 16:20

Avant de mettre à l’honneur Gus Van Sant, le club ciné du lycée Mariette s’était penché, l’année précédente, sur le cas d’un autre cinéaste nord-américain, en l’occurrence le canadien David Cronenberg. A l’époque, nous avions travaillé sur A History of violence. L’occasion avait été saisie de s’intéresser à d’autres long-métrages de ce réalisateur souvent passionnant qui, pour la petite histoire, a tourné sous la direction de Gus Van Sant dans To die for (Prête à tout) en 1995.

 

 

Scanners de David Cronenberg (1981)

 

 

Finalement et, jusqu’à preuve du contraire, David Cronenberg est un cinéaste de genres, en l’occurrence la série B fantastique, la science-fiction contre-utopique ou bien le film d’horreur : ils ont marqué les débuts du réalisateur canadien de Frissons à La Mouche (1). Mais pas seulement… On l’a vu, plus récemment, investir, avec une belle assurance, le genre, plus hollywoodien, du film de gangsters (A History of violence, Les Promesses de l’ombre) qu’il hybride avec d’autres genres : le teen-movie et le western pour ce qui concerne A History of violence (2).

Coincé entre Chromosome III (1979) et Videodrome (1982), Scanners appartient à la période « je bricole tout dans mon coin » du cinéaste (3), et raconte l’histoire de deux frères, produits d’une expérience de leur père, qui sont dotés d’une puissance cérébrale phénoménale (télépathes, ils peuvent scanner et détruire des cerveaux). Ils s’affrontent dans un combat sans merci. Premier vrai succès international de Cronenberg, Scanners marque aussi la toute première collaboration du cinéaste avec son compositeur fétiche à savoir Howard Shore.

         D’emblée, grâce au thème de la lutte fratricide, le film s’inscrit dans une dimension tragique brodant sur la très classique opposition du bien et du mal tout en rappelant les plus anciens mythes de la civilisation occidentale qu’ils soient bibliques (Abel et Caïn, Jacob et Esaü) ou païens (Atrée et Thyeste, Etéocle et Polynice ou encore Remus et Romulus). Mais, les deux frères (Cameron Vale le « gentil » et Daryl Revok le « méchant ») peuvent être aussi vus comme les deux faces d’une même personnalité, Cronenberg reprenant alors à son compte le motif du dédoublement souvent à l’œuvre chez Alfred Hitchcock ou Fritz Lang (4).

         Sur fond de complot d’une grande firme industrielle, thème récurrent dans l’univers cronenbergien (5), et de manipulation génétique (6), le réalisateur aborde son sujet préféré : l’exploration de l’homme comme animal technologique (voir la séquence où le cerveau Cameron Vale se connecte à l’ordinateur de la firme Consec afin de pirater le programme Ripe). Autre grand motif cronenbergien présent dans Scanners et lié au précédent : la métamorphose des corps. Dans la mesure où les « scanners » sont capables d’agir sur un corps par l’esprit, le film est marqué par quelques scènes gentiment gores d’explosion de boîtes crâniennes, de décompositions et de mutilations (voir la séquence finale). Il n’est alors pas étonnant de voir le réalisateur puiser son inspiration plastique dans l’art sacré : les stigmates de Cameron Vale quand il affronte son frère montrent qu’il vit alors une sorte de « passion » christique.

         Le film est, par ailleurs, marqué par d’autres influences plastiques : celle d’Edward Hopper (pour la peinture épurée et froide des centres urbains d’où se dégage un sentiment d’angoisse assez prononcé que Cronenberg renforce par des plans généralement larges et le plus souvent fixes, posant là les bases d’une mise en scène qu’on a souvent qualifiée de clinique et qui est la marque de son style) ; celle de Francis Bacon (pour le gore organique à l’œuvre aussi dans d’autres longs métrages du réalisateur).

         Scanners n’est probablement pas le meilleur film de son auteur mais il se révèle passionnant pour les qualités du récit (n’oublions pas que Cronenberg est avant tout un conteur efficace) et pour les liens qui existent entre Scanners et les autres films du réalisateur comme autant de correspondances secrètes (7).

 

 

NOTES :

(1) Il renouera avec les genres de ses débuts pour ExistenZ sorti en 1999. Avec Jude Law et Jennifer Jason Leigh.

(2) Une partie de la trame narrative de A History of violence n’est pas sans rappeler La Griffe du passé (Out of the Past) de Jacques Tourneur avec Robert Mitchum et Kirk Douglas (1947).

(3) C’est avec Dead Zone (1983) que le cinéaste passe à une nouvelle étape de sa carrière puisqu’il accepte une adaptation d’un roman de Stephen King dont la production est assurée par Dino De Laurentiis. Avec Christopher Walken.

(4) Motif repris dans A History of violence : Joey Cusack/Tom Stall n’est pas sans rappeler l’oncle Charlie (joué par Joseph Cotten) de L’ombre d’un doute d’Alfred Hitchcock (1943). La réflexion sur l’identité est, plus généralement, un des thèmes récurrents du cinéma de Cronenberg (voir Faux-semblants ou encore M.Butterfly).

(5) Voir ExistenZ. Ce thème montre à quel point Cronenberg a été par marqué par William Burroughs : un des chapitres du Festin nu traite d’une organisation de télépathes cherchant à dominer le monde (c’est d’ailleurs le projet de Daryl Revok).

(6) Voir La Mouche (1986).

(7) Pour un aperçu exhaustif et passionnant de la carrière de David Cronenberg, nous vous renvoyons aux ouvrages de Serge Grünberg publiés aux éditions des Cahiers du cinéma : une monographie essentielle et un livre d’entretiens paru en 2000.

 

 

Suzanne SOURGET et Eric POPU.

 

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25 juillet 2009 6 25 /07 /juillet /2009 16:06

Vu hier soir à Hardelot : Hitchcock, Les Oiseaux, Bodega Bay, Californie. Un cadre paradisiaque qui devient vite un cauchemar. Souvent, la plage rime avec vacances (là vraiment, je me surpasse !!!) et la plage au cinéma, c’est toute une histoire… voici, en dix films, quelques suggestions pour occuper vos journées pluvieuses ou vos soirées solitaires, que vous soyez ou non en vacances !

Attention ! La liste est loin d’être exhaustive, forcément !!!

 

1. Les vacances de Monsieur Hulot de Jacques Tati (1953)

2. Les dents de la mer de Steven Spielberg (1975)

3. Hôtel de la plage de Michel Lang (1977)

4. Pauline à la plage d’Eric Rohmer (1982)

5. Conte d’été d’Eric Rohmer (1996)

6. La plage de Danny Boyle (1999)

7. Liberté-Oléron de Denis Podalydès (2001)

8. Embrassez qui vous vous voudrez de Michel Blanc (2002)

9. Crustacés et coquillages et de Olivier Martineau et Jacques Ducastel (2005)

10. Les plages d’Agnès d’Agnès Varda (2008)

 

Films bonus au choix : si vous avez réussi à visionner tous les films précités, vous avez le droit de revoir Le Kid de la plage de Garry Marshall (1984) avec Matt Dillon ou bien Point Break de Kathryn Bigelow (1991) avec Keanu Reeves. Un programme de rêve, non ???

 

Eric POPU

 

 

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6 juillet 2009 1 06 /07 /juillet /2009 08:17


Sans doute en avez-vous entendu parler... et peut-être même étiez-vous dans la cour du château d'Hardelot, samedi soir, pour la première  projection en plein air de la "
Season". 



Vous/ Nous y avons vu  Psychose et sa fameuse scène de douche, dont Gus Van Sant s'est inspiré pour Paranoid Park (mais pas seulement*) et avons été ravis de cette soirée, de l'accueil, et du film, bien sûr.

Il n'est pas trop tard pour sauter sur cette occasion de découvrir ou de redécouvrir une partie de l'oeuvre de Hitchcock, en VO sous-titrée,  dans un cadre qui s'y prête à merveille.

Le principe est simple: un film de Hitchcock tous les vendredis à 22h30. C'est gratuit, ouvert à tous. Vous éviterez néanmoins les Oiseaux avec votre petite soeur de cinq ans... Pensez aussi à amener une couverture- euh, sorry, un
plaid.

Le programme?

Vendredi 10 juillet: L'Ombre d'un doute ( que nous avions vu dans le cadre de notre club ciné en 2008). il date de 1943 et l'on y voit un oncle (forcément d'Amérique) très aimé de ses neveux. Non, non, non, nous n'en dirons pas plus!

Vendredi 17 juillet: Fenêtre sur Cour


Vendredi 24 juillet: Les Oiseaux


Vendredi 31 juillet:
L'homme qui en savait trop


Vendredi 7 août: Sueurs froides. Personnellement, nous avons un faible pour le titre en anglais Vertigo (au programme de lycéens au cinéma il y a trois ans, si je ne m'abuse)



Vendredi 14 août: Pas de printemps pour Marnie



A la suite de quoi, il vous restera 15 jours pour remettre le nez dans vos bouquins de maths, pour revoir vos cours de comm, commencer le programme de littérature, vous plonger dans la philo. Pour l'anglais (et bien sûr pour le club ciné), vous aurez déjà un peu d'avance (argument à avancer si vous devez emprunter la clio de maman)!

N'oubliez pas, enfin, que la Season est aussi musicale et récréative... Pour plus de renseignements (et au cas hautement improbable où la météo prévoyait de la pluie un vendredi soir), vous pouvez appeler au 03 21 21 73  65.


                                                                                                       Suzanne Sourget.


*: GVS que nous aimons ici beaucoup a réalisé un remake, plan par plan, de Psychose: Psycho (1998). Disons qu'il s'agit d'un film... expérimental, au parti pris très radical, et qui ne prétend pas (de l'aveu même de son réalisateur) être à la hauteur de l'original.

 

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23 juin 2009 2 23 /06 /juin /2009 21:48

Pedro Almodovar a déjà été récompensé à Cannes (prix de la mise en scène pour Tout sur ma mère en 1999 puis un prix d’interprétation féminine collectif doublé d'un prix du scénario pour Volver en 2006). Son dernier film Les Etreintes brisées n’a rien eu cette année mais ce n’est pas une raison pour passer à côté car l’ancien fer de lance de la Movida madrilène n’a rien perdu de son talent ni de sa créativité dans ce film qui a pourtant déçu certains spectateurs …

 

 

Les Etreintes brisées de Pedro Almodovar (2009)

 

Une déclaration d’amour au cinéma : voici en quels termes le réalisateur espagnol Pedro Almodovar évoquait récemment son nouveau long métrage, en compétition officielle au dernier festival de Cannes. Et de fait, qu’ils soient une déclaration d’amour au 7ème art (La Nuit américaine de François Truffaut) ou aux actrices (Mulholland Drive et Inland Empire de David Lynch), qu’ils fassent une critique plus ou moins acerbe du système (The Player de Robert Altman) y compris des rapports (souvent ?) difficiles entre le réalisateur et son ou ses producteurs (Les Ensorcelés de Vincente Minnelli) ou bien qu’ils proposent une réflexion sur l’essence même du cinéma (le montage au cœur des films de Jean-Luc Godard, et en particulier, du Mépris) les films sur un film en train de se faire est devenu quasiment un genre au cinéma. C’est donc dans cette longue tradition du cinéma occidental que s’inscrit une partie de ce long-métrage qui, d’une certaine manière, s’emploie à synthétiser quelques unes des pistes ouvertes dans ces grands classiques.

Choisissant la forme du mélo auquel, digne héritier de Douglas Sirk, Pedro Almodovar est habitué, le film repose d’abord sur le jeu de miroir entre Almodovar réalisateur et son double fictionnel Mateo Blanco/Harry Caine (lui-même dédoublant son identité). Il raconte comment ce réalisateur prometteur, devenu aveugle et scénariste, est amené à se replonger, quinze ans plus tard, dans le souvenir de son histoire d’amour avec l’actrice principale (Lena interprétée par Penelope Cruz) du film qu’il était en train de réaliser à l’époque (Chicas y maletas, sorte de double de Femmes au bord de la crise de nerf). On notera d’ailleurs que ce n’est pas la première fois que Pedro Almodovar met en scène un réalisateur : il l’avait déjà fait dans La loi du désir, Attache-moi ou La mauvaise éducation, ce personnage récurrent lui permettant de mettre en perspective le thème du créateur face aux difficultés de la création.

        Affectionnant les structures narratives complexes (construction en flash-back et mises en abyme vertigineuses), le film propose aussi une définition possible du cinéma  : il serait cet art capable, sans le recours aux mots, de rendre intelligible ce que les individus ne veulent pas voir et/ou de rendre visible ce l’œil humain ne peut pas percevoir. C’est alors pour Almodovar le moment de rendre hommage, de manière plus ou moins explicite, aux réalisateurs ou aux films qui ont marqué son parcours de cinéaste : entre autres, Luis Bunuel (Belle de Jour), Michael Powell (Le Voyeur), Alfred Hitchcock (Les Enchaînés) sont ainsi cités tout au long du film.

        Le film est, aussi, à travers le personnage interprété par Penelope Cruz, une déclaration d’amour aux actrices réunies en une seule (1): Pedro Almodovar déclare d’ailleurs que son égérie est « capable de jouer toutes les femmes ». Et de fait, Lena rappelle étrangement, dans son choix de devenir actrice, le parcours de Lora Meredith (Lara Turner) dans Mirage de la vie. Rôle principal de Chicas y maletas (le film dans le film), elle devient clone d’Audrey Hepburn ou celui de Marylin Monroe quand elle essaie une perruque blonde. D’autres fantômes  hantent le film : Ingrid Bergman dans Voyage en Italie, les photographies de Betty Davis ou de Romy Schneider. Ce sont alors des actrices aux interprétations « bigger than life » qui sont célébrées par Almodovar comme autrefois il rendait hommage à Anna Magnani. Magnifiée par une mise en scène élégante, sans artifice tapageur, Penelope Cruz est tout simplement fabuleuse… Et, nous spectateurs, de nous souvenir des autres égéries du réalisateur : Carmen Maura, Marisa Paredes et Victoria Abril.

 

          Doit-on croire Truffaut/Ferrand qui, s’adressant à Alphonse/Jean-Pierre Léaud sur le tournage de Je vous présente Paméla, affirmait que « les films sont plus harmonieux que la vie » ? Les Eteintes brisées n’apportent peut-être pas de réponse définitive mais voilà un film qui contribue à rendre la vie du spectateur plus harmonieuse… ce qui n’est pas rien !!!

 

 Eric POPU

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